Damien Desbordes, auteur de "La cité des anges", nous offre cette critique littéraire des "Orbéliades", de Patrick Montois Orbel
Difficile de se frayer un chemin satisfaisant à travers la poésie contemporaine tant elle est massive et méconnue. On cite toujours, et avec raison, les grands de cet art avec une récurrence qui laisse parfois un peu perplexe. Les poètes contemporains sont-ils si peu dignes de voir leur nom figurer sur la liste des élites de la prosodie française ?
Avec tant d'appelés et si peu d'élus on pourrait reprocher à la poésie d'aujourd'hui de s'étioler un petit peu. Ce qu'il en est véritablement, à mon avis, c'est qu'elle manque des phares que les autres époques pouvaient dénommer fièrement Hugo, Verlaine, Desbordes-Valmore, du Bellay... Nous avons l'artillerie mais pas les généraux. Nous jouons aux échecs sans les pièces maîtresses.
Ces Orbéliades se veulent un ouvrage majeur du calibre des maîtres. Ces cent-quatre vingt-dix poèmes d'un seul auteur, en un seul recueil, du point de vue de la quantité, valent bien Les fleurs du mal. La quantité, c'est déjà un début.
Attention toutefois, le volume poétique très dense de ce livre, et puis son contenu je dois dire, le réserve à un public d'avertis. Le style de l'auteur, inconditionnel de la prosodie classique, impose, selon moi, un solide appétit. Je le précise donc dès maintenant : Les Orbéliades, ce n'est pas un ouvrage à attaquer sur le pouce, entre deux repas. On s'y lance affamé ou pas du tout.
Ce fameux recueil est divisé en cinq parties qui sont autant de thèmes : la femme et l'amour pour les deux premiers, trois autres étant moins homogènes, je me contenterai de citer leurs titres : « La vie désirée, la mort provoquée », « L'horloge et le miroir » et « Mise au point ».
Commençons par ce qui se retrouve globalement dans l’œuvre, point par point : La forme classique est respectée scrupuleusement. Chaque strophe est consciencieuse, la recherche de la rime est systématique. Si vous voulez une poésie carrée et propre, celle de monsieur Orbel répond admirablement à ces critères. On trouve, au sein du recueil, un réel travail sur les rimes et la justesse du vers, mais beaucoup moins sur la césure ou les consonances
Je dois avouer avoir mis un certain temps avant de m'immerger dans l'univers de monsieur Orbel. On n'y entre pas si facilement tant les barrières sont dissuasives. Cependant, pour ma part, le voyage a valu l'épreuve puisque j'ai trouvé ce monde poétique plein d'espoir et de regards bienveillants. Une fois qu'on y est, on y est bien. Mais attention à ne pas s'y perdre !
Voilà, je crois avoir mis le doigt sur le point le plus important. On trouve, noyées dans la masse de ce recueil, quelques perles resplendissantes. Je pense par exemple à La Beauté, Le Lac, Amour Sacrificiel, La jeune fille... Quelques vers ou strophes sortent également du lot, une fois sortis de leur poème qui sont aussi leur prison. Voici un exemple qui m'a tout particulièrement touché :
« La chambre est une toile où le peintre est présent ;
Et sa pudeur est libre autant qu'un paysage !
Quand le cri se mélange au murmure apaisant
Son corps épanoui s'expose en son visage. »
(La jeune fille, p.60)
Ces quelques perles ont le malheur d'être perdues au milieu de l'océan d'autres poèmes et d'autres vers qui ne connaissent pas leur profondeur. L'homogénéité de la forme ne se retrouve pas dans la qualité. J'ai traversé beaucoup de ces textes sans rien ressentir que de l'ennui tandis que certains m'ont littéralement transcendé. C'est peut-être le lot de tout recueil imposant, mais ça me chagrine un peu ... Les meilleurs poèmes de cet ouvrage mériteraient un cadre qui les mettrait plus en valeur. Cela éviterait de forcer le lecteur à les pister comme un chercheur d'or.
Un petit mot sur le sonnet Orbélien, forme inventée par l'auteur. Il reprend la structure du sonnet en y insérant un vers inédit entre les strophes. Un dernier tercet clos l'ensemble en reprenant ces trois vers célibataires. L'effet est agréable. Le rythme de ce sonnet offre, je dois le dire, une ampleur fraîche qui encourage le lecteur à considérer le poème dans sa totalité, et non comme un bête fil que l'on suit.
Les idées véhiculées, enfin, le sont avec un courage certain. L'auteur n'hésite pas à prendre parti et à l'affirmer, avec une obsession peut-être pour la pédophilie chez les prêtres, qui est dénoncée par une suite d'extrapolations un peu redondantes.
Je ne saurais conclure sans me répéter et je ferai donc bref. Les Orbéliades sont un recueil qui plaira certainement aux amateurs de poésie classique, équipés toutefois d'un certain courage. Ils y trouveront un univers complet et agréable, qui sait se faire modeste dans ses déclarations et beau dans ses images ; pour qui est prêt, j'insiste là-dessus, à fournir quelques efforts. Moi-même, qui ne suis pas un poète classique, l'ai beaucoup apprécié.
Damien Desbordes
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