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samedi 15 juin 2019

Critique littéraire de Les bateaux sombrent-ils en silence

Une critique littéraire de Les bateaux sombrent-ils en silence?, de Timba Bema, est parue sur le site Afrolivresque. Je me fais une joie de la reproduire ici. Dans l'article original, vous trouverez une remarquable lecture-performance d'extraits de cet ouvrage par son auteur par la Radio-Télévision Suisse




« Les bateaux sombrent-ils en silence ? »
Une variation poétique de Timba Bema

Les bateaux sombrent-ils en silence ? est dédié à Joséphine, de son vrai nom, Josepha, repêchée au large de la Lybie. Cette femme dont la photographie a fait le tour des réseaux sociaux, décida de quitter le Cameroun, pays de Timba Bema, en montant sur un bateau pour l’Europe. À ce jour, le conflit séparatiste qui éclate en octobre 2016 dans les régions anglophones du Nord-Ouest et du Sud-Ouest du Cameroun est loin d’une résolution. Les séparatistes, les « amba Boys », réclament l’indépendance et la proclamation d’un nouvel état, l’Ambazonie. Le gouvernement refuse, réprime les manifestations pacifiques et depuis fin 2017, le Cameroun est en situation de guerre civile.

Silencieux, les yeux de Joséphine ne le sont pas. Figés dans son corps de survivante, ils questionnent, où me suis-je laissée ? De quelles intentions étaient empreintes les mains dans lesquelles j’ai confié mon destin ? Josepha a vu la mort !

Trempe
D’abord
Ton pied gauche dans l’eau
Avant de te hisser sur ton bateau

Gauche. L’endroit du cœur. L’organe qui guide les choix des hommes. À quel rythme bat le cœur du capitaine et de son équipage ? De quelle couleur est la conscience des bateaux explorateurs des surfaces liquides ? Ils transportent, contre monnaie sonnante et trébuchante, des corps et des cœurs remplis d’espérance, qui implorent la justice humaine de leur rendre liberté et dignité, de leur permettre de créer une existence à l’image de leurs rêves et de nourrir leurs esprits des mots des poètes. Alors, ces hommes et ces femmes embarquent dans des bateaux imprégnés des souffrances d’antan, remettent leurs destins ignorés entre les mains des Dieux des océans, ceux des légendes Duala. Ces hommes et ces femmes quittent leur terre dans l’indifférence des 4×4 du pouvoir dont les fenêtres opaques s’obstinent à rester closes.

Elle rêvait
Elle rêvait
De bateaux de ports et de marins
Comme on rêve d’enfants de bijoux et de
jasmins

Nous, les peuples de l’autre côté des étendues liquides, avons-nous entendu le regard de Joséphine ? Avons-nous ouvert la portière et posé nos pieds sur sa terre rouge ? Avons-nous seulement tenté d’imaginer ce qu’est une existence dénuée de rêves ? Une existence où chaque jour il faut trouver dans ses veines l’élan vital pour croire encore à demain. A votre avis, comment exister lorsque l’on est dépossédé de ses droits les plus fondamentaux ? Cet ouvrage explore l’histoire des bateaux et des hommes, d’une puissante intensité il propose au lecteur de monter à bord, de tenir la main de ces êtres humains qui ont vu dans la promesse des Dieux, leur ultime recours. Chaque quatrain nous entraîne au sein des remous de l’océan, sous les tempêtes du ciel et de son soleil lancinant. La peur au ventre des passagers devient nôtre. Sans pathos,Timba Bema offre la poésie pour s’approprier la tragédie qui se joue sur les océans en plein 21ème siècle, ses vers nous plongent au fond de notre océan intime pour renouer avec notre nature humaine et reconnaître que l’autre, celui que l’on nomme migrant, est un frère humain. Alors, peut-être, verrons-nous surgir

Sur le pont du bateau
En train de sombrer, sans une parole, une
larme
Un accordéoniste, chétif, jouait une
rumba
Qui était cette femme au regard lucide
Assise à ses côtés ?

Cette variation poétique m’a happée du premier vers au dernier. Un ouvrage indispensable pour porter un autre regard sur la crise migratoire.

Caroline Despont

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