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mercredi 9 mars 2016

Critique littéraire de La Haine, tome 1

Lendraste, auteur de L'étau des ténèbres, tome 1 : tapi dans la clarté, nous offre une critique littéraire de La Haine, tome 1, de J.B. Phoenix
La Haine, tome 1


Dans 35 ans, notre Terre sera la proie des multinationales. Après une troisième guerre mondiale déclenchée indirectement par la pénurie des énergies fossiles, le plus profond des changements n’est pas celui qu’on croit. Certes, contraint de faire face technologiquement pour maintenir son train de vie consumériste, la planète s’est penchée vers des solutions énergétiques plus pérennes, mais ce n’est pas ce qui a le plus radicalement évolué. Les enfants involontaires de la guerre atomique, des humains génétiquement altérés par les retombées radioactives, font leur apparition. Sous le vocable de « mutants », ces êtres développent des pouvoirs paranormaux stupéfiants et sont marginalisés par le genre humain, créant des distinctions sociales où le mutant n’est guère mieux considéré que l’animal.

Dans ce monde futuriste qui emprunte ses références au genre cyberpunk et à la série de Comics Marvel X-Men, une multinationale, la Génétic Corporation, est le giron d’avancées scientifiques sur les mutants, exploitant ceux-ci comme des cobayes. Le flou légal entourant les droits des mutants (en apparence différents de ceux des humains) leur permet, en toute impunité, d’enlever, de détenir et de torturer ceux-ci. À l’autre bout du monde un mutant idéaliste du nom de Fraust, ayant un passé trouble avec la G.C., fonde une école pour mutants, la Faculty, qu’il espère naïvement maintenir à l’écart des exactions des multinationales et de la xénophobie ambiante.

L’auteur nous dresse là le portrait d’un monde froid et impitoyable. Même s’il ne s’étend pas sur la structure géo-politique d’après-guerre et laisse en blanc la vie des humains « normaux », il retranscrit, par le filtre de la perception de ces mutants victimes de la G.C., l’idée d’un véritable gouffre social entre les surhommes et le reste de l’humanité. En confinant les créatures génétiquement altérées de la G.C. au rôle d’animal de laboratoire, puis, pour les plus chanceux, de soldats surpuissants bien obéissants, J.B. Phoenix nous ramène à des problématiques d’aujourd’hui sur la manière dont les sociétés civilisées capitalistes considèrent l’animal, parfois même les humains, et envisagent l’avenir d’iceux.

Découlant d’un passif difficile à cerner, le récit nous plonge dans l’opposition naturelle, violente et sans concession qui existe entre certains de ces mutants. La haine dont il est question n’est pas tant celle qui isole la communauté mutante de leurs parents humains, que celle qui oppose les mutants soumis de la G.C. à ceux qui sont épris de liberté à tout prix. Fraust se rendra compte très vite de la fragilité de son rêve et ses opposants risquent de comprendre, à leurs dépends, leur véritable condition.

Même si je reproche à l’histoire d’être un tantinet bancale dans son contexte, son point focal n’est pas la vraisemblance du monde dont on sait trop peu de chose pour en juger (ce qui pourrait d’ailleurs naturellement évoluer dans la suite), mais l’introspection des différents personnages. Leur développement psychologique justifie très bien l’articulation de leurs actes. Le nombre de protagonistes est important et les noms ne sont pas toujours facile à retenir. Le caractère international des sujets n’est pas pour faciliter l’identification. Là où le récit m’a fait perdre le fil à plusieurs reprise, c’est cette tendance à exploiter tantôt le nom, tantôt le prénom ou l’origine comme la fonction du personnage et quand on ne souvient pas forcément que ces distinctions vont ensemble, on a parfois l’impression de l’apparition d’un nouveau venu dans la scène ou de carrément les confondre. En dehors de ce point, tout est limpide et clair.

Du point de vue rythme, je trouve la première moitié du récit plutôt lente et ça a été pour moi un cap difficile à passer. Une fois cette étape franchie, l’auteur nous plonge dans une action plus soutenue et prenante. La fin réserve, de plus, d’excellentes surprises dont un twist que je n’ai pas vu venir. Je reste toutefois convaincu que la narration gagnerait en force à être plus allégée. Le côté détaillé et la tendance à la sur-description nuit parfois à la compréhension des événements dans les scènes de pure action. Côté style, je garde une très bonne impression : c’est très imagé et élégant, les tournures de phrases sont fluides et agréables, les dialogues crédibles et la mise en situation est particulièrement posée, un peu trop peut-être.

Ce premier volume d’une série sobrement intitulée « La Haine » la démarre sur les chapeaux de roue. Il faudra apprécier le côté désespérant, morbide et violent de son univers pour y entrer, mais il vous donnera envie de vous plonger plus en avant dans cette intrigue qui se noue et se serre avec lenteur autour votre esprit. En véritable questionnement sur ce qui motive les pires atrocités, La Haine est le porte-étendard d’une vision terrifiante de l’avenir, un exemple, à mon sens, de ce que la Terre ne doit jamais devenir… Ou demeurer.

Lendraste

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