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mercredi 19 décembre 2018

Critique littéraire d'Aphorismes jaillis de l'écume des flots

Ionuţ Caragea nous présente une critique littéraire de son dernier ouvrage, Aphorismes jaillis de l'écume des flots, par Jean-Paul Gavard-Perret, parue sur le site Le littéraire.


Ionut Caragea, Aphorismes jaillis de l’écume des flots

La résur­rec­tion des Lazare

Nul ne s’étonnera de retrou­ver en un com­pa­triote de Cio­ran un maître de l’aphorisme. Ce genre est des plus nobles mais des plus dan­ge­reux. C’est un peu le haïku du monde occi­den­tal. Beau­coup s’y essaient et s’y cassent les dents — par­fois sans même s’en rendre compte. Pour pra­ti­quer un tel genre, il faut de la bou­teille et du recul plus qu’une simple faconde : le risque est de réduire la pen­sée au mot d’esprit et de tom­ber à côté de la plaque.
Ionut Cara­gea a donc maturé cette forme au fil des ans et de ses autres écrits. Dès lors, ce qui “jaillit de l’écume des flots” échappe aux idées mères comme au re-pères afin de per­mettre à l’aphorisme non de faire du sur­place dans un esprit post-cioran mais de suivre un cours. Cara­gea ne s’y pré­tend pas un des Jupi­ter lit­té­ra­teurs qui toisent le monde de leur hau­teur. Il ne cherche pas à épa­ter de for­mules faci­le­ment tor­chées. La tra­duc­tion de Constan­tin Fro­sin — et ses choix — le prouvent.

L’auteur pré­fère la vérité à la pose. Et au besoin ouvre l’aphorisme — comme Cio­ran d’ailleurs sut le faire — à autre chose qu’un exer­cice de brié­veté à tout crin. Il est des véri­tés qui ne se laissent pas sai­sir uni­que­ment en quelques mots. Et si ce qui se conçoit bien s’énonce clai­re­ment, il convient néan­moins de trou­ver l’espace néces­saire à la pré­ci­sion de la pen­sée.
Nourri par les voyages, les lec­tures, la poro­sité à l’autre et le goût des mots Ionut Cara­gea ne lâche rien et donne à chaque apho­risme les contours néces­saires afin que l’ellipse évite les contour­ne­ments comme les à-peu-près. Existe donc dans ce livre l’envol néces­saire à la pen­sée prête à jeter l’ancre pour ne pas oublier la réa­lité et les affres — mais aussi les dou­ceurs — de l’existence.

Se méfiant des gogos qui se prennent pour des maîtres et qui “ché­rissent tel­le­ment leurs propres véri­tés, autant que des vête­ments d’un prix fou”, l’auteur, dans un genre où cela peut paraître un para­doxe, pra­tique un exer­cice d’humilité. Il sait que dire n’est pas simple à qui veut tou­cher le vrai. Il faut par­fois renon­cer au brillant et reve­nir à des che­mins per­dus, oubliés, lais­sés à l’abandon.
L’éternité d’un style passe sous ses fourches cau­dines de la pré­ci­sion pour repen­ser le monde en osant au besoin “la gau­che­rie du cœur et la dex­té­rité de la croix” pour s’en déclouer. L’œuvre reste pour l’auteur la clé pour sor­tir des doxas de l’école socia­liste de son enfance rou­maine où les dieux du grand soir ser­vaient d’images saintes.

Afin que la pen­sée soit à la fois sque­lette et chair et pour que l’aphorisme ne soit plus un retable en l’honneur des chiens de guerre, Cara­gea ramène en consé­quence aux bras de la femme. Leur croix n’est pas rigide et chris­tique : elle se referme en nid d’amour. Elle donne à l’homme la rai­son de son com­bat pour l’existence.
C’est par elle que tout com­mence. L’auteur le rap­pelle à bon escient sans pour autant tom­ber dans les modes du temps. Ici com­mence la résur­rec­tion des Lazare.

jean-paul gavard-perret

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