Vous trouverez ci-joint une critique littéraire de La raison des absents, de Gérard le Goff, par Claude Luezior
LA RAISON DES ABSENTS de Gérard LE GOFF (Stellamaris) /
Une lecture de Claude LUEZIOR
D'emblée, ce texte nous intrigue par un discours à la première personne : le « je » narratif dont le style est à la fois précis, poétique (Et toujours la mer ruminait sa scansion immuable) ou ironique, mais quelque peu décalé par rapport au langage actuel. Pourtant, l’on décèle une modernité dans des phrases courtes sertissant de longues et élégantes descriptions. Par ailleurs, les dialogues sont souvent cinglants, voire rudes ou syncopés. Le tout donne une image mêlant classicisme et modernité que scande la structure du récit, alternant la vie passée du personnage principal et son existence actuelle. Jusqu’à ce que les deux parties de sa vie se rejoignent en une symbiose tragiquement cohérente.
Il s’agit en fait d’un roman d’introspection, l’écrivain privilégiant les errances, les pensées contradictoires, les doutes d’Étienne Hauteville, le narrateur. Certains épisodes de délabrement social, voire de délinquance sont évoqués avec pudeur pour aboutir à un descriptif plus élaboré, celui d’un cambriolage, en fin de volume. Ce personnage omniprésent, sorte d’anti-héros qui nous fait penser au Salavin de Georges Duhamel, peut nous paraître veule mais également attachant dans son humanité quelque peu fragile et dérisoire. Par son sens du détail, Le Goff, parvient à nous captiver. Ses remarques, parfois féroces et sans complaisance, sont savoureuses quant à l’adolescence d’Étienne ou, plus tard, dans sa relation avec son chef de bureau au visage et à la mentalité de batracien.
Vivent en belle indépendance, mais malgré tout en une manière de dépendance psychique, un pianiste russe ainsi qu’une sublime et énigmatique photographe de presse, (un peu à la Agatha Christie), de laquelle Étienne va tomber amoureux : nulle relation ne donne malgré tout l’impression d’un épanouissement, ce qui renforce le brouhaha de la « vraie vie », en lieu et place d’un romantisme qui pourrait donner au texte une allure fleur bleue. Le tout est volontairement noyé dans une atmosphère lisse mais assumée, de torpeur permanente, de long sommeil sans rêve, de conscience ouatée.
Aucune grandiloquence, mais un art avéré de la plume, une appétence pour des mots rares qui nous font convoquer le dictionnaire : cangue, fuligineux, gandins, guipure, manducation… L’auteur a de très belles expressions: Je suis resté là, le cœur en cendres. Il fait vibrer l’atmosphère de cette ville dérisoire d’un bord de mer : Depuis la fenêtre de ce logement haut perché, mon regard embrassait la houle figée des toitures disparates que biffaient les antennes, la population de ses bistrots, les choses dans leur nudité : Le bois de l’escalier craqua, comme s’il voulait manifester sa désapprobation, les paysages : L’aube venait, malgré tout, flaque livide s’élargissant aux confins de la nuit.
Finalement, il ne se passe pas grand chose (hors, malgré tout, quelques décès) et le personnage principal n’est que l’un de nos semblables, englué dans son immense solitude. L’échouage d’animaux marins sur la plage, ô combien symbolique, donne un relief supplémentaire à cette mini saga. L’on se prend au jeu, surtout grâce à une écriture hors normes, sans doute supérieure à nombre de romans actuels, vulgaires et qui semblent être écrits au dictaphone. Le Goff sculpte, martèle, cisèle, peaufine, joue avec nos nerfs : les 254 pages de ce roman en appellent sans doute d’autres à venir.
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