dimanche 27 janvier 2019

Auteurs : Aphoristes roumains d'aujourd'hui

Leur oeuvre
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(Présentation de chacun des auteurs, extraite de la préface de l'ouvrage)


Petruş ANDREI rapproche quasiment ses distiques du haïkus par la rythmique et les liens qu'il entretient entre l'être humain et la nature : « Les bouleaux représentent des bougies pour la prière ». À partir de là le lien se tisse entre le paysage et l'émotion dans l'appel d'une délivrance. La poésie en reste la clé. Elle s'élève contre la souffrance faite aux femmes et contre la morale politique frappée du diktat des dictatures. À ce titre l'auteur préfère se revendiquer comme l'idiot de son village pour annoncer des vérités premières souvent tues mais soudain apprivoisées.


Constantin ARDELEANU propose lui aussi ‒ et c'est une constance facilement compréhensible chez les poètes roumains ‒ une critique politique. Elle touche à la fois le vieux monde communisme et ses idées du ‟bonheur” comme l'occident capitaliste où l'on finit par ne feuilleter que des ‟cartes de crédit”. L'auteur ‒ et le temps le lui a appris ‒ sait voir le ver qui se cache dans chaque fruit. Preuve que la liberté n'est pas aussi simple qu'on le dit : soudain se produit une sensation étrange : « la célèbre Statue de la Liberté vous assène des coups sur la tête avec sa torche ». Qu'ajouter de plus? Sinon boire parfois ‒ au nom d'une désespérance ‒ à la santé de l'oubli.


Gabriel Petru BĂEŢAN croit encore à la vérité et à la beauté. Même lorsque la première ‟sort des tombeaux”. Quant à la seconde où la trouver sinon ‟à tâter le cœur” ? Dans cet but l'auteur fait le pari de l'intelligence et du civisme. Dans notre monde moderne et ses médiations perfides ils se perdent. Néanmoins, à la ‟tête carrée” il faut préférer celle qui reste bien pleine et éduquée. D'amour en premier lieu. Quant au poète il a mieux à faire que se soucier d'immortalité. Cette farce est presque obscène face aux misères qui parsèment le monde au moment même où il court à sa destruction.


David BOIA remonte l'histoire du monde depuis « le stress qui déclencha le Big Bang ». Et ce ne fut que le premier. Depuis il essaime car rien ne s'est arrangé. Fidèle au désespoir inhérent à l'aphorisme roumain, l'auteur ne se fait guère d'illusions même si l'amour pourrait sauver le monde. Toutefois l'égoïsme règne. Et celui des gouvernent n'est pas en reste. Ils savent chaque fois récupérer toute velléité de révolte. Rien de nouveau donc sous le soleil que certains prétendent faire briller sous effets de spotlights. Face à eux l'aphorisme devient le fable ultime. Celle de « la plaidoirie d’un animal pour l’humanité ».


Alina BREJE se veut plus ‟positive”. Sans doute parce qu'elle est femme et donne la vie. Sa vision métaphysique tente de surfer sur les miasmes de l'Histoire. L'auteure métamorphose l'aphorisme en ce qui illumine la conscience de l'espèce qu'on nomme humaine. Elle veut croire encore que « L’esprit n’oubliera jamais ce dont l’âme se souviendra toujours. » Bref elle parie sur ce miracle face à la souffrance et le renoncement pour trouver confiance dans les chemins du temps et ne pas désespérer de l'impossible.


Valeriu BUTULESCU cultive un aphorisme âpre et philosophique. La métaphore y est impertinence et parfois acide : « Les critiques voient la musique et entendent la peinture. » écrit celui qui s'élève contre les prétentions de tous ordres. La femme reste pour lui l'avenir de l'homme. Et l'auteur appelle les érudits à un peu plus de clémence. Ils donnent des leçons au nom de leurs constructions intellectuelles. L'auteur en souligne la pusillanimité : « Le ver creuse le temple de son éternité dans une poire », et les prétentieux rampent comme lui. Ils prétendent profaner le néant : ils le servent.


Ionuţ CARAGEA donne à l'aphorisme sa plus substantifique moelle. Le forme condensée représente pour lui la décantation essentielle afin mettre à nu nos capitulations mais aussi nos espoirs. L'image et la comparaison sont toujours essentielles à une telle entreprise : « De même que le nénuphar ouvre au-dessus du lac, le verbe ouvre au-dessus des pleurs. » Mais Caragea n'est pas toujours grave : il ose au besoin un humour qui creuse le discours et l'ouvre au nom de l'amour. C'est le seul miracle de vie et la résolution absolue au dur désir de durer face aux ombres que nous nous donnons ou qui nous sont accordées comme seul viatique.


Theodor CODREANU lui aussi joue des images mais aussi d'une forme d'intellectualisme astucieux : « Le paradoxe est une protestation contre la première connue de l’équation. » Mais pour l'atteindre et faire prospérer la lutte il convient de revenir aux les mythes face aux mystifications. Mais l'écrivain en est-il capable ? Codreanu en rappelle sa vanité. Trop d'auteurs se bornent selon lui à l'espoir d'une vague célébrité. A cette aune beaucoup feraient mieux de se taire. Mais pas le cas Codreanu. Sa grâce possède d'autres sources que l'immortalité douteuse de bien des maîtres en logos ou en politique.


Pompiliu COMŞA ose une violence astucieuse, comique et moins désespérée que bien de ses confères en aphorismes. Il frappe dur et sec : « L’avenir sonne bien. Dommage que personne ne réponde. » Et il espère en son peuple qu'il tente de désenclaver de deux menaces. Il les traduit de la manière la plus forte : « N’importe qui pense sainement doit être puni de mort. Proverbe russe ? » d'un côté, « Je viens de buter ma belle-mère. Le capitalisme sauvage n’admet pas la concurrence. » de l'autre. Tout est dit sur les illusions historiques : à l'être humain de jouer en dehors.


Letiţia COZA « noue les instants aux confins du silence », et de ce fil naît une écriture puissante dans sa force de lame tranchante. La poésie est chez elle omniprésente : « Gage pour le courage : la couleur et le parfum. Si j’étais un perce-neige !... » Tout ici est subtile, distancié juste ce qu'il faut là où la nature en ses fruits fait corps avec l'auteur. Elle n'hésite jamais à la fantaisie. Elle fait chez elle toujours sens et ne possède rien d'une fatrasie. L'aphorisme est donc bien ce qu'elle en dit : « Le coq de la classe de lucidité. » Le genre bref touche chez elle à un absolu.


Paula Adriana COZIAN croit en la sagesse. Preuve que pour elle tout n'est pas perdu et qu'il peut rester du meilleur dans ce pire que les hommes ne cessent de pratiquer en cultivant avec soins leurs erreurs. Refusant le nihilisme elle espère dans ce qui unit les hommes. Et ce même si ce sont plus leurs défauts que leurs qualités. Elle ne se fait donc pas d'illusion mais cela permet à l'aphorisme de se poursuivre face à tous les pouvoirs dont l'idéal est « d'inventorier rigoureusement les modèles périmés par le temps. » pour mieux les utiliser. Il est donc demandé aux sages d'accomplir encore des efforts. Un seul serait trop peu face aux orgueilleux.


Alin CRISTEA avance dans l'aphorisme par sauts et gambades et comme sans y toucher : « la vie ressemble à la pastèque du frigo : si elle n’est pas sucrée, du moins te rafraîchit-elle. » Son écriture produit le même effet. Mais elle peut encore plus. L'auteur ne s'en prive pas. Il ose des vérités qui ont le mérite de s'ouvrir à la discussion. C'est stimulant. Car c'est à travers ce qu'un auteur pense que les questions s'ouvrent sauf aux ‟analphabètes du courage ». Cristea n'en fait pas partie.


Iosif M. CRISTIAN ne remet jamais au lendemain ce qui peut s'écrire le jour même. Sinon le temps rend faible et manipulable. Or il est urgent de réagir en faisant le pari de l'optimisme même s'il est mal porté en littérature. L'auteur méprise avec raison ceux qui se croient ‟condamnés à vivre”. En ce sens c'est un anti Cioran. Il est pour sa part d'une autre complexion. Tout est bon pour lui dans le cochon humain. Et rien ne sert de jouer à l'autruche. Qui triche ou se cache consent : Cristian le refuse.


Ion CUZUIOC sait mêler l'humour à l'aphorisme. Mais cet humour est souvent noir. Donc autant plus drôle : « L’aveugle peut voir bien loin, lui aussi », « Même l’âne mérite des louanges : il se tait et tire », écrit-il. Ce qui évite une certaine propension à la dépression. Qu'importe si avec le temps l'homme grince sur ses gonds : tant qu'il s'ouvre à l'autre, de l'air passe. Et surtout du désir. À la condition bien sût que chacun consente à se donner plutôt qu'à se préserver.


Florentina Loredana DALIAN sait faire la part des choses afin de ne rien généraliser et de ne pas prendre l'ombre pour la proie. Elle fait de l'aphorisme une recherche intérieure sans jamais chercher l'effet de surface. L'auteur expérimente par ce genre le monde au nom même de ses faiblesses. Ce qui est un gage de vérité. Elle sait aussi combien dans notre vacuité nous oublions ce qui nourrit nos moments, notre âme, notre corps. Bref tout chez elle ramène à une injonction première : « Êtres humains, encore un effort. » À l'impuissance nul n'est tenu.


Emil DINGA est un poète subtil. Il fait de l'aphorisme l'essence de sa quête existentielle et poétique. Elle a le mérite de la profondeur : « Quand deux intelligences s’affrontent, il résulte une vérité, quand deux caractères s’affrontent, il résulte une morale. » écrit-il. Faut-il y voir de la tristesse ? Bien plus sans doute pour celui qui cultive une certaine négativité (jouissive ?). Pour preuve : « L’amour partagé est la fin de l’amour. » Beaucoup des auteurs de cette anthologie ne seront pas d'accord avec lui. Mais c'est ce qui fait le mérite de propositions de réversibilité. L'œuvre de Dinga en reste un des pôles.


Ion DIORDIEV n'oublie jamais de joindre le haut au bas, le corps à l'âme, le sommet de la pyramide humaine à sa base. C'est une manière de reprendre le monde dans l'espoir d'une harmonie aussi intérieure qu'extérieure. Mais chez l'auteur rien n'est donné pour acquis. L'aphorisme est là pour accorder à l'homme plus d'énergie afin de lutter contre sa peur du vide selon des stratagèmes qui ne sont pas forcément glorieux. Mais l'auteur fait confiance à la petitesse humaine. C'est une manière de prendre l'homme à son propre piège et de le faire réagir dans un monde où les rois sont rarement nus. Ce qui n'est pas le cas de leurs peuples.


Ion DIVIZA cultive une lucidité ironique : si bien que toute illusion sur notre nature disparaît. Nous n'y pouvons rien. Nous sommes fait comme ça : « J’étais plus intelligent quand j’étais en bas âge, parce que j’ignorais ma bêtise ! ». Sous ce paradoxe se creusent d'autres abîmes. Et bien des désillusions générales ou proprement roumaines pointent : « Les médecins s’enfuient à l’étranger, les patients ‒ dans l’au-delà. » Il y a là des vérités pas bonnes à dire mais qu'il faut bien souligner. L'aphorisme sert à planter de tels clous. Ce qui n'est pas sans faire sourire ‒ avec amertume. Mais nous ne sommes pas les seuls : « Le Très-Haut aime l’humour, surtout les prévisions météo ! » À bon entendeur, salut !


George DRĂGHESCU lui aussi ne se fait guère d'illusion sur la condition humaine, sa petitesse, son ethnocentrisme un rien animalier. Chacun y va de son pouvoir. Pour preuve : « On prend plaisir à être obéi à haute voix ». Peu d'illusions chez le poète sur notre peu qui aspire au tout mais sans s'en donner les moyens. Chacun officie dans le néant avec son tout à l'ego et ses maquillages. Bien sûr nous trouvons de quoi nous justifier. L'infâme en nous prétend incarner des idées nobles. Qu'importe le jugement dernier. Apparemment nous avons d'autres chats à fouetter.


Teodor DUME rappelle combien qui veut faire l'ange fait la bête tant nous sommes impuissants à cultiver un minimum d'élévation. « C’est tout juste la pierre du gouffre d’un puits qui peut parler de la douleur de l’eau. » : rarement l'homme s'élève en une telle profondeur même s'il rêve de chatouiller le ciel. Certes, « l’amour est l’arme la plus puissante de l’humilité. » Mais combien sont capable d'un tel effort ? Il est vrai que l'amour n'est pas le sentiment le plus partagé au monde. À bon escient Dume le rappelle. Il espère pour l'être une véritable foi. Elle lui permettrait de n'être pas seulement le domestique de lui-même et de se reconnecter à l'altérité loin de tout cosmétique.


Mihai ENACHI reste un aphoriste de premier plan. Il sait que l'homme n'est qu'une particule. Pour preuve, « dans l’horoscope natal, Dieu joue au billard avec les astres de notre destinée. » Dès lors il ne faut pas trop demander à la nature humaine. Elle s'accommode de tout et surtout d'elle-même. La bêtise nous guette ‒ du dedans comme du dehors. Et l'auteur lui même ne fait pas exception. Nous pouvons donc lui faire confiance : charité bien ordonnée commence par soi-même. Ce qui prouve que toute vérité ‒ soit-elle pas bonne à dire ‒ est lumière.


George GEAFIR est un satiriste impertinent. Il met l'homo sapiens au cœur de son aspect spécieux. Dès qu'il parle, il se ment à lui même. Ses paroles sont des ailes d'un moulin : elles brassent du vent. Et chacun se complet dans ses erreurs avec l'air chafouin d'un « type délicat, qui n’entre pas tout botté dans votre âme, mais les pantoufles à la main ». Tout homme est prêt à se vendre pour rien. Et si le « dénigrement ne nourrit pas notre orgueil, pourtant il certifie notre valeur ». Est-ce rassurant ? Pas sûr. Mais ce n'est pas l'objectif de l'auteur. Il soigne son angoisse par nos incompétences notoires, sauf une : « Je peux me priver de tas de choses, mais de moi, jamais. » Ecce homo.


Pour Vasile GHICA « les échecs répétés en amour mènent au vice ou bien à la grande poésie. » Ce sentiment est donc une des grandes affaires de son écriture. Du moins tant qu'il y croit comme l'enfant au Père Noël. D'autant que seuls « les cocus considèrent l’amour comme une erreur. » Tout compte fait c'est bien peu car leur nombre est moins nombreux que celui des maris qui naviguent en justes noces. Quoi que... Mais c'est une autre histoire. Mieux vaut croire à nos croyances et porter la coupe de l'amour aux lèvres même lorsqu'elle s'ébrèche. Et qu'importe notre myopie en ce domaine.


Vasile Sevastre GHICAN lui aussi fait de l'amour l'affaire de la vie. Étant septuagénaire nous pouvons faire confiance à ses leçons de conduite et d'inconduite. Néanmoins l'auteur n'en fait pas une fixation. Il nous dit notre fait. Celui-ci n'est pas forcément celui que nous attendions. Néanmoins nous savons soigner « nos procès de conscience par des insecticides. » Cela ne sauve pas mais nous arrange bien. Et notre langage permet de mettre sur notre manque bien des sparadraps. Pour autant l'auteur ne cherche pas à nous guérir : il enfonce notre clou jusqu'à nous rendre marteau. En entendant nous rampons comme des animaux.


Gheorghe GURĂU a découvert en homme l'animal qui le hante. Dès lors et en ce sens « Est-il normal qu’un âne porte des œillères comme les chevaux ? » mais là n'est pas la question. Dans les deux cas nous restons à quatre pattes. Nous faisons donc tous partie d'un même troupeau. Guenon, primate ou simplement ‟couillon”, tout nous va. Si bien que les aphorismes de l'auteur fomentent notre immense bestiaire. Nos bestioles nous rongent de l'intérieur. Et, pour nous venger, nous mordons parfois comme des chiens enragés. Nous nous arrangeons toutefois de cacher qui nous sommes sous forme de poussin. Dans l'espoir qu'il existera toujours quelqu'un pour nous caresser.


Ovidiu KEREKEŞ illustre le monde tel qu'il est au sein de ses appétits et religions temporaires. Le sport y devient le veau d'or fait pour amuser les hommes. Faute de Dieu chacun cherche dans des illusions farcesques ses rêves d'éternité. C'est un peu mince mais nous sommes le fruit de la civilisation qui nous fait. Kerekeş rappelle que la sagesse et l'amour sont choses peu amènes à qui se mêle de ne penser à rien. Ce qui permet à la bêtise voire à la folie de nous consommer à petit feu. À cette aune la littérature pourrait-elle sauver le monde ? L'auteur l'espère. Mais il n'en est pas sûr. Et c'est un euphémisme.


Victor MANOLE est plus confiant dans ce qui arrive pour peu qu'on s'en donne les moyens moraux. Ses aphorismes offrent des structures de fondements. Leur auteur est bienveillant « Qui pratique l’humilité et le pardon, aime (vraiment) la vie », ou « Ne jouissez pas de votre richesse, mais de vivre d’autres lendemains encore. » Comment ne pas lui donner raison ? Il aborde l'aphorisme selon une voie particulière. Celle d'une édification avec l'espérance chevillée au corps et le rappel aux chuchotis du cœur. L'auteur croit à l'humain, le revendique. Sans illusion certes mais dans l'espoir que nous cessions de divaguer dans l'à peu près.


Nicolae MAREŞ pratique l'aphorisme dans la même veine. Le genre appelle chez lui à la dignité de l'être ce qui n'ôte pas un certain sens de l'humour : « Pour le bougon, le rire est errement. » Mais ce n'est pas le cas de l'auteur. S'il pourfend certaines erreurs, errances, horreurs là où la perfidie est ‟sœur de la barbarie”, l'objectif est de secouer l'humain pour le sortir de sa paresse. Résonne un appel au désir de durer au nom de valeurs premières et parfois les plus simples. La justesse de vue se moque de tout effet au profit d'une vérité parfois dure mais toujours altière.


Gheorghe MIHAIL part de la position précaire de l'homme. Celui-ci est au bord du précipice inhérent à sa condition. Mais l'aphoriste lui révèle de quoi la vie est faite : « Pour les mortels, le rideau ne se lève jamais pour les répétitions suivantes. » Néanmoins, et comme disait Beckett, « ça suit son cours ». À mesure que la vie avance son océan se complète. Ce n'est pas toujours joli, joli ‒ surtout pour certains : « Ce sont les seuls richards qui se paient le luxe, les pauvres ne font que l’entretenir. » Pour autant l'auteur ne se limite pas à une critique sociale. L'aphorisme s'y prête mal : il advient pour entamer un dialogue plus intime entre l'homme et lui-même. C'est là que toute révolution digne de ce nom commence.


Constantin OANCĂ ouvre l'aphorisme à une vision poétique pleine d'irisations. Son écriture se fait douce, insidieuse et cosmique : « Il fait nuit. Dieu nous regarde par ses étoiles. » et avec lui il faut savoir contempler divers types de beauté, même dans le kitsch, cette « bête qui attente au ramage d’un oiseau ». Existent dans cette approche de superbes frémissements. Là vie est là, impalpable et prégnante. Parfois suave parfois plus hésitante lorsque « L’attente est un rivage avec un navire qui n’arrive plus. » Tout est du même ordre et donne à l'aphorisme un réalisme merveilleux. Il ne peut que séduire.


Mircea OPREA tord le cou à un certain lyrisme. Il ramène à une littérarité qui néanmoins n'a rien d'étroitement vériste et ne manque pas d'humour : « Dans mon adolescence, pour quelques Lei, une Tzigane errant dans notre rue nous prédisait l’avenir dans un coquillage. Comme je n’avais pas assez d’argent sur moi, elle m’a prédit juste la fin. » Tout dans l'œuvre est du même esprit corrosif et impertinent. L'auteur sait que pour peu qu'on ait « un fusil à la main, tout ce qui bouge peut devenir une cible. » L'aphorisme lui aussi est une arme contre les discours prétendus inspirés des grands orateurs prêts à faire dormir debout. Opréa caresse d'autres ambitions là où l'écriture devient l'« aile volant devant l’oiseau ».


Cornel PAIU ne prétend pas enserrer le monde dans ses aphorismes même si son rêve secret est la réconciliation suprême entre diverses ordres. « À partir de cendres et de quelques étincelles » il dit notre fait à qui nous sommes : « Si on était des lions, on déchirerait la charogne de ‟la démocratie” actuelle, pour ne pas crever de faim ! » Mais de fait nous nous contentons de digérer notre famine en attendant la fin. C'est un peu maigre. Demeure chez l'auteur un aspect ascétique. Il ne stigmatise rien et tente à chercher des ruptures dans le fil des jours tels que nous les alignons.


Nicolae PETRESCU-REDI ne fait pas dans la pitié ou la commisération : « En embrassant Jésus, Judas rapprochait ses crocs. » rappelle-t-il. C'est là les marques de la nature humaine dont « le bâton d’invalide est plus proche de nous que celui de maréchal. » Qu'à cela ne tienne : l'auteur ouvre nos clés de voûte afin que nous nous élevions hors des cellules que nous aménageons. Il faut à l'humain plus d'ambition. Et l'aphorisme nous appelle à l'ombre des arbres de la tentation au nom de la beauté, ‟Icône suspendue au clou de l’instant."


Vasile PONEA ne cesse d'appeler à la lumière. Pour lui elle nourrit le monde et reste toujours prête à renaître. Nous sommes dons des héritiers de la terre : à nous, au nom d'une énergie morale, de lutter contre le désespoir ‒ même s'il est contagieux. Renonçant aux leçons de Cioran, l'auteur caresse d'autres objectifs : « regarder au-delà de moi pour trouver l’énergie des pensées. » C'est une belle leçon. Et qu'importe si ceux qui nous gouvernent font preuve de bien plus que quelques gouttes d'absurdité. Ne comptons donc que sur nous. Bref soyons poètes en vivant sous la croyance à la lumière.


Elis RÂPEANU, fée des songes de l'esprit roumain et de son humour, n’a qu’une solution: ‟chercher ses ailes.” Car marcher ne suffit pas. Il faut plus d'ambition à l'être. Qu'il sache enfin vivre l'instant plutôt que de parier sur l'avenir. Et qu'il s'habite, ici-même, ici bas : « les petits rêves n’ont pas besoin d’ailes gigantesques. » écrit l'auteure. Et il suffit de les vouloir. La poésie le prouve. On peut rêver d'histoires merveilleuses même en se lavant les dents.


Michelle ROSENBERG apprend un certaine justesse de vue. Il faut savoir se méfier de ce qui brille. L'or n'est pas nécessaire à qui habite le temps et transforme l'aphorisme en « cristal baigné dans le symbolisme du monde. » Telle est la vraie symbiose entre ce qui s'écrit et ce que l'on fait. Pour peu que l'on apprenne à accepter la recherche d'une paix intérieure. Ce lieu est mystérieux mais sa quête seule donne à l'écriture son authenticité. Elle se débarrasse aussitôt de son impatience et de son amertume.


Gheorghe A. STROIA cultive une certaine idée de la sagesse. Rien se sert de s'en prendre aux autres avant que chacun entame son propre dialogue intérieur. « J’ai fait la rencontre du souvenir ; dans ses sentiers, les désirs avaient mué en larmes... » Néanmoins, chaque fois il faut aller plus loin. L'aphorisme le propose dans l'appel à une générosité envers les autres. Ces derniers ne sont un enfer que pour les narcisses. Le seul moyen de faire bouger les choses est de les retrouver au nom de notre profondeur cachée car « les couleurs de l’âme sont les fondamentales. » Du moins à celui qui ne se contente pas de son propre spectre mais s'oriente vers une ombre plus solaire.


La poésie de Dan SURDUCAN tente de danser sur le visage de la pensée au sourire qui mord. Dans un exercice de solitude l'auteur crée par l'aphorisme une introspection. Il connaît le poids de la vie et au fil du temps tente un nouvel équilibre entre le cœur et l’esprit. Surducan reste avant tout un humaniste avide de sagesse et de simplicité. Certes, écrit-il, « Dans notre monde, la sincérité n’est pas toujours une carte gagnante. » mais il convient de s'y engager : tout le monde à y gagner sa vie sinon le ciel. Et qu'importe si tout finit en poussière. Cultiver son propre jardin est l'acte de fondation à tout travail humain.


Lucian VELEA se veut léger. La vie ? C'est un toutou pas snob à qui sait la prendre par le bon bout même si tout n'est pas facile. Le poète fait partie des esthètes farceurs : « J’ai commencé une cure d’amaigrissement. Je ne l’observe qu’entre les repas. » Preuve que la leçon d'existence n'est pas si compliquée que ça. « On peut devenir fou pour ne pas avoir fait la folie respective en temps voulu. » rappelle l'auteur. La sagesse n'est donc pas qu'une leçon rationnelle : il faut à l'existence certains pas de côté. Pour autant Velea ne refuserait pas ses leçons d'inconduite mais il est comme Dieu : « je prodigue des conseils et presque personne ne les suit. » C'est pourquoi avant que d'asséner des vérités fondamentales il tente de construire des remparts de brindilles glanés dans les quelques livres qui lui servent de guides.


Silvia VELEA rappelle la vocation à l'existence et selon des chemins qui semblent contraire à une telle injonction : « Je suis lâche. » écrit-elle. Mais elle a soin de préciser : « Je crains de battre en retraite. » L'aphoriste prend donc la vie comme il faut. Le besoin de vitesse passe par un exercice de lenteur. Et parfois de retrait. L'auteure offre une belle leçon de vie à qui sait la lire. Chaque pensée a le mérite de ne jamais tomber dans la facilité : « On ne commence pas à aimer avant d’être humilié. On ne commence pas à aimer avant d’avoir passé outre à l’humilité. » Par de telles dualités Silvia Velea évite des injustices envers soi comme envers les autres. C'est pourquoi écrire mérite un travail suffisamment précis pour ne jamais se contenter d'approximations factices. Et si certain des auteurs réunis ici chérissent l'oubli Silvia s'inscrit en faux face à cette impasse.


Tous les créateurs de ce livre témoignent moins de l'espoir égoïste de survie dans la mémoire des générations futures que de la volonté d'offrir aux femmes et hommes d'aujourd'hui une substitut laïc à l'éternité chrétienne et un substitut métaphysique aux illusions communistes. Ils optent pour un supplément d'âme contre le matérialisme économique et les idéologies des potentats. Dans tous les cas de tels aphoristes ne se contentent pas de l'idée de Rimbaud dans ‟Une saison en Enfer”. Il ne s'agit pas de l'asseoir ‟la beauté sur ses genoux” mais de partir avec elle en voyage afin de mettre à nu des territoires inconnus. Bref de permettre la découverte d'un autre monde dans celui-ci.

Jean-Paul GAVARD-PERRET




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