Marcia Marques-Rambourg, auteur de "Quadrilatère" et de "Ancre", nous offre cette critique littéraire de "Des cheveux de rose", de Bamby
C’est d’abord cette interrogation métaphysique qui rôde et qui résonne dans ma tête quand je dé-couvre la quatrième de couverture de/ Des cheveux de rose,
de Bamby. C’est cette interrogation qui m’invite à l’intérieur de la chambre néphélibate, onirique et parfumée de la Poésie. Cette chose qui me suit, qui me poursuit, cette éternelle interrogation sur le monde, sur les manières de le raconter, de le peindre... Comment se forme-t-il ? Combien de couches de peaux, de corps, de vide y a-t-il dans le monde, dans mon monde ? Combien en dois-je supprimer, et multiplier à la fois, avant d’atteindre l’essence et l’organisation des choses qui forment cette réalité ? Combien de ma perception, de mes sensations, de mes corps et de toutes mes Paroles y dois-je ajouter pour voir le paysage derrière le paysage, la ville derrière les montagnes, le temps derrière les expériences, l’Arrière Pays[1], les instants et les recoins de la chambre ouverte… la Poésie ?
C’est ainsi que j’ouvre Des cheveux de rose. C’est ainsi que cet « étrange voile » du monde, la Poésie, s’ouvre à moi : mnémonique, onirique, interrogative :
« Pourquoi alors
Tout est vain
Quand croisant quelque fleur
Tout est beau –
Quel étrange voile
Gonfle et vide le monde ? »
Elle me prend ainsi par la main, par l’esprit. Je me laisse guider par ses voiles, par ses cheveux, par les parfums de ses rêves. Je me souviens de N. Goodman dans Ways of Worldmaking, où il parcourt les manières de sentir, de décrire, de reproduire le monde, [Les évidences se succèdent]. Dans ce recueil de Bamby, je vois de ces vides formateurs, parfumés, ondulés par les méandres du Réel. Je vois, depuis les fils d’une ligne poétique remarquablement attentive au discours, simple, suave, et résolument délicate, les lettres, les signes, l’ouverture du Mot, d’une blancheur parfumée, attirante, qui me renvoie à la synesthésie de chaque vers libre :
« Sous la brume j’allais cueillir
Des fleurs des bouquets de rêves
Composée comme un violon
Une architecture –
Dans les pleurs disparus – » (p.102)
Je marche ensuite sur ces champs de coton, de roses, de couleurs, de sensations nouvelles, de souvenirs inachevés ; par de jolis tirés savamment ponctués qui me remettent, sans cesse, en suspension. Je me laisse guider à l’intérieur du Livre, des livres, des cheveux aux parfums du monde, aux parfums de ces deux cent quarante pages de nuages, de Rêves (« Se promener près d’un Rêve/ (…) » p. 59), d’idées. Et c’est précisément ce regard néphélibate qui m’amène à l’atelier du poète, à la chambre de travail du peintre patient, conscient du monde :
« Doucement – on caresse mes doigts
Ouverts – la paumes en l’air
Nue dans les brises d’hiver
Fragile et brûlante
De saisir un parfum – » (p. 40)
Et puis, des lieux, des montagnes transitionnelles, des non-montagnes, des sphères oniriques perdues dans la représentation des noms, des non-noms, des images ouvertes : « J’oublie les noms des montagnes/ […] »( p. 116). Contrastés par des arrière-pays marqués, décrits dans les détails des noms, des gens, des sensations : « Annecy est jolie sous la neige/ […] Les dames avec leurs petits chiens/ La neige qui vole/ […] Et les roses de candeur […] » (p. 106). Qui me conduisent Ailleurs. Je suis dans la sensation de l’absence. Je crée des noms de montagnes. Mais je suis également dans l’abondance de la présence, recréant les villes dites, les gens, de la neige qui vole, du rose
des roses… Je suis, enfin, circonscrite dans cet ensemble de lignes suavement
nuancées par le travail poétique.
Le rythme est coupé. La ponctuation annonce la vitesse de chaque tableau. Je continue à parcourir des paysages abstraits, infinis. Je lis, relis, me lis, et trébuche : « C’est vrai que le temps est un
garde/ Corrompu – par l’amour – […] » (p. 105). C’est ainsi que le mouvement de mes yeux mi-ouverts s’accélère ; change. C’est ainsi que je me promène, corps ouvert, par Des cheveux de rose : à épier des espaces encore voilés, à libérer les attaches de ma Parole.
Et lorsque cette page 198 me sussurre « Mon souvenir est plus beau que mon rêve/ […] » … « […]/ Car il y a dans la réalité/ Quelque chose que l’esprit même n’attrape – […] », je vois les fenêtres de ce tableau de roses, ouvertes, auxquelles je ne pourrai m’empêcher de revenir.
Chère Marcia,
RépondreSupprimerMerci, merci, merci infiniment, pour cette critique si riche, si juste dans son analyse, si précieuse pour mes humbles poèmes...C'est un magnifique cadeau que de voir son oeuvre révélée par le regard d'un talent littéraire comme le vôtre.
Pour ce trésor, et pour m'avoir appris ce mot merveilleux qu'est néphélibate - et qui convient bien au chemin par lequel ce recueil est né - je vous remercie de tout mon coeur.
C'est moi, Bamby. Je suis restée impressionnée par votre texte... Quel plaisir de le lire, relire, comprendre...
RépondreSupprimerQue votre chemin poétique soit long!
Mes amitiés sincères
Marcia
merci énormément - belle rencontre poétique! :)
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