Bamby, auteur de "Poèmes à coeur" et de "Des cheveux de rose", nous offre cette critique littéraire de "Je ne suis", d'Erick Gauthier
Je ne suis
« Je ne suis… », d’Erick
Gauthier, est un poème continu. Un poème continu né de l’amour et qui raconte
l’amour, dans le désir, le vécu, la contemplation et la recherche de sens. En
effet, il me semble que si la poésie d’Erick Gauthier capte la beauté de
l’union amoureuse et du temps dont l’amour change le relief, elle est aussi, en
filigrane, une sorte de « métaphysique de l’amour ».
La poésie d’Erick Gauthier est si complète, si riche de sens et
d’images, qu’il me serait impossible de la rendre telle qu’elle est réellement
par une critique. Aussi je m’efforcerai de suggérer des interprétations
possibles et de retranscrire des bribes de mon ressenti de lectrice.
Il me paraissait
intéressant de m’attacher à la dimension métaphysique du poème continu, à la
progression d’une réflexion sur l’amour qui se trame entre la beauté des vers,
d’un bout à l’autre de l’œuvre, et qui est soulignée par le titre des parties
qui la compose.
« Je ne
suis… que toi »
Je ne suis que par l’amour
que je te porte, je ne suis que dans la reconnaissance de ton être,
reconnaissance qui est l’amour.
La poésie d’Erick Gauthier est complètement privée de narcissisme,
d’individualité, puisque le « je » s’affirme dès le début comme le
souffle qui aime, le corps qui aime. L’objet de l’amour, le « toi »
tiens dès le début de l’œuvre la place centrale, il est l’inspiration,
l’obsession, du désir et de l’amour. La poésie se révèle ainsi, dès les premiers
vers, à la fois extrêmement sensuelle et profonde. Car le « toi » et
le « moi » semblent des corps et des âmes universelles, autour
desquelles se referme le monde. Nous sommes plongées dans une atmosphère
intimiste, comme au cœur d’une chambre secrète de l’âme et des corps, que
l’amour a créé.
Les êtres en lumière, à la fois auteurs et personnages, contemplateurs
de l’amour, sont ressentis par l’apparition d’éléments corporels
« bouche », « lèvres », « yeux », des
respirations, des impressions/sentiments, qui suggèrent le désir et la vie de
l’amour, imbriqués spontanément à des éléments naturels « étoilée de mes
mains », « la rivière de tes paumes ». Ainsi les êtres semblent
tout à fait universels, porteurs du monde et fondus dans le monde, et chacun
peut s’identifier aux pronoms qui les désigne, et vivre avec le poète ces
amours. « Ces » amours car l’amour toujours se recrée, et révèle ses
multiples visages, à travers les larmes, les querelles où la réflexion des
sentiments. Et l’amour, dans ses jeux de distance et de rapprochement des corps
et des âmes se dessine, complet, uni dans sa multitude, et par la poésie.
« Je ne suis rien
d’autre »
L’affirmation du poète est
forte. On peut y voir l’affirmation qu’en dehors de l’amour rien n’existe qui soit, chez l’être. Que l’être est un vide que l’amour vient révéler, et en
révélant ce vide l’amour va faire émerger l’être, privé d’égo, l’être universel
qui est.
Ainsi les êtres en lumière nous apparaissent rapidement comme des
ombres, ces ombres universelles que l’amour révèle. La poésie est alors un
chant des ombres, sur les corps et les sentiments des êtres. L’ombre grandit
avec l’amour et semble déborder des êtres, les dépasser. Les ombres du
« toi » et du « moi » se mêlent et se superposent, se
révèlent aussi dans l’absence. Et demeurent les sens comme un fil auquel se
rattachent les êtres, au-dessus de l’infini de l’ombre et du mystère révélé par
l’amour.
« Toute mon ombre
Au soir déplaisant
Dans l’infinie solitaire
Tu occupes toute mon ombre
Immense
Elle me surprend
M’envahit
Me subit
Mais
Jamais
Ne trahit
Mes mains exigeantes. »
« Toi en moi »
L’objet de l’amour, l’être
aimé, semble avoir une vie indépendante en l’être qui aime. Ainsi dans
l’absence ou l’éloignement du « toi » demeure le « toi en
moi ». Et peut-être que l’amour du « toi » n’est en réalité que
l’amour du « toi en moi », c’est-à-dire que l’amour n’aime que ce
qu’il reconnaît et imagine de l’autre.
« Toi en moi » pourrait
aussi être l’égal de « moi en toi », et signifier l’union, la fusion
des êtres. Et signifier que les êtres sont et se recréent lorsqu’ils sont
mêlés. D’où l’obsession amoureuse de l’union, l’union des corps doublée de
l’union des âmes.
Cette union se ressent dans tout le recueil, elle est le centre même de la poésie et de la réflexion que cette dernière reflète. L’union est aussi le fait d’être en suspens, entre deux corps, entre deux âmes. Et l’on pourrait dire que la poésie d’Erick gauthier est avant tout une poésie de la suspension. Car nous sommes avec lui ces funambules, avançant sur la « corde invisible » tendue par l’amour, témoins d’un vertige que l’on contemple autant qu’on le ressent, le vertige de l’infini.
Ce vertige est alors à la fois sensuel et inhérent à l’esprit, quand l’âme semble s’abriter et s’abîmer dans une éternité.
« aujourd’hui se vit pleinement
Sous la chaleur de nos ombres
Nos corps débordent
Vers l’infini. »
« Devant nous »
À présent, de l’union des
êtres semble apparaître un troisième être, qui est le « nous ». Ce
« nous » est le produit de l’amour, à l’image de la perfection de
l’amour. Ce « nous » surpasse le « toi » et le
« moi », il est ce miracle qui naît dans l’ombre, ce miracle au
visage éternel qui semble indépendant des êtres pris dans leur individualité,
et qui ne pourrait être altéré, tâché par la mortalité de leur amour. Ce « nous » est l’être
miraculeux né de l’union que le « toi » et le « moi »,
alors tournés dans la même direction, contemplent. D’où le « devant
nous ».
Ici il s’agit d’une sorte d’aboutissement de l’union. Les êtres alors
peuvent contempler « l’enfant » de leur amour, beau et éternel, qui
semble pouvoir leur survivre, car dénués des limites de l’être. Et c’est cet
enfant de l’amour, l’amour établi dans l’éternité, qui fera naître le sentiment
d’une « possession du monde »
« d’elle à moi
L’entier monde dans mes mains
Doubles réunis
De qui suis-je l’ombre ? ».
Le « nous », qui dépasse les êtres, amène à la contemplation.
Les yeux mêlés, ou tournés dans une même direction, contemplent le chemin de
l’amour, passé, présent et infini.
« nous marchons l’un l’autre
Un
Dans la même ombre
Sans fin. »
« Aveuglés de
présent »
Le miracle de l’amour dans le présent illumine de beauté
jusqu’à « aveugler » les êtres, il est comme l’astre que l’on fixe et
que l’on ressent dans la plénitude de l’être. Le présent prend sens, et il devient sentiment d’éternité,
comme un prisme qui reflète l’essence du monde, et l’essence des êtres
universels.
Dans la poésie d’Erick Gauthier nous retrouverons beaucoup les éléments
que sont le soleil, la lune, les étoiles. L’amour est une lumière qui demeure
au-delà du temps et des changements de saison, notamment les saisons des
sentiments. Que le jour ou la nuit se déroule l’amour sera toujours cet astre,
tour à tour lune, sensualité, et soleil, élévation, chaleur, ou bien étoiles,
dispersion…
« nos corps unis
Drapés dans des bras de nos soleils »
« je m’ouvre à la nuit
et tu te fermes au jour
munis de l’inconnu
nous nous dispersons ensemble. »
L’amour opère ce miracle de créer le jour dans la nuit et la nuit dans
le jour, de sorte que le présent paraît une éternité qui n’est plus
soumise à l’alternance des jours.
« Ni vivre ni
aimer »
Les êtres s’effacent devant
l’universel. Seul demeure le silence.
« je ne suis
Devant nous
Toi moi en moi
Nous
Sur la face du
silence. »
Et je finirai cette critique par une dernière citation, un poème qui
marque l’effacement de l’individu devant l’amour, le vertige de l’infini
qu’implique cet effacement de soi, et, tout au bout…le trésor secret que nous
propose l’Amour.
« Masque
Je suis ce masque
Pierre de vent
Dans une rue anonyme
Je marche
Sur la ligne d’une vie
La pénombre s’habille
Sur le matin de ses yeux
Des mains m’envahissent
Je sors
Une porte m’ouvre sur un drap de roses. »
Bamby
Bravo ! En effet, magnifique présentation d'un livre qui semble s'avérer magnifique !
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