dimanche 8 mai 2022

Entretien avec Stéphane Lebreton sur l'ouvrage Sombre Liger, beauté glorieuse

Vous trouverez ci-joint un entretien entre Nathalie Dhenin et Stéphane Lebreton au sujet de l'ouvrage dont il est co-auteur, Sombre Liger, beauté glorieuse. Cet entretien est paru dans la revue Les sens retournés (page Facebook Les sens retournés).


Une chronique, une rencontre sur le fil d’une eau mystérieuse : la Loire. C’est par l’intermédiaire de la prose hebdomadaire de Stéphane Lebreton sur Facebook que j’ai rencontré son livre : « Sombre Liger, beauté glorieuse » et que j’ai suivi le cours des photographies d’une eau intranquille. De ses mots choisis, je retiens une fluidité fortement imagée qui vous aussi, vous fera voyager. Je remercie Stéphane pour les indications apportées sur son travail qui donne l’envie impatiente de connaître l’aboutissement de ses projets ! Trois de ses chroniques clôturent cet entretien.
Nathalie

Nathalie :
« Sombre Liger, beauté glorieuse » paru aux Editions Stellamaris en 2020 est un recueil contenant les photographies de Dominique Jullien sur la Loire, agrémenté de vos textes et de ceux de Gaëlle Bodelet. Comment est venue l’idée de ce livre au format carré, qui s’ouvre sur l’image d’une barque, au milieu d’une nuit magique ?

Stéphane :
En fait, lors des années précédant cette publication, j’ai écrit des textes sur les photographies de Dominique Jullien pour différentes de ses expositions. J’appréciais ses points de vue sur cette eau surprenante. Il avait accroché sur mes chroniques sur …Le kayak ! Puis la rencontre avec Gaëlle Bodelet, professeur de français qui était déjà publiée, a validé l’intention de laisser la trace d’une édition. C’était important de parler de ce ressenti sur la Loire, mal connue, même dans sa propre région. La mort y rode. On l’appelle « la mangeuse d’homme ». Et de décembre à février, la froidure la rend un peu plus redoutable. Plus belle encore aussi.

Nathalie :
Vous écrivez également sur la pratique d’un sport pratiqué sur la Loire.

Stéphane :
Effectivement, je suis kayakiste depuis longtemps et chaque semaine j’écris une chronique à propos de son environnement sur la page Facebook : Kayak Rando CNB Bouchemaine. Afin de témoigner de ce l’esprit d’équipe qui règne dans ce sport, de l’aventure qui en découle. Car le grand public a davantage l’image du kayak lorsqu’il se montre en compétition. Il n’est pas que cela ; ce moyen de transport originel qui transporte une à deux personnes consent à la rencontre avec la faune et la flore. Il est fréquent de croiser sur les berges, des sangliers qui viennent s’abreuver ou qui la nuit traverse la en Bretagne (et en Galice pour les dauphins), j’ai pu le faire aux côtés des dauphins et des phoques.

Alors que je suis enseignant en histoire ancienne à l’Université d’Artois, ces parenthèses sportives au fil de l’eau sont une ressource indispensable. A cette rivière. Des chevreuils, des renards aussi. Lorsque j’ai pratiqué le kayak au large de Saint-Malo, j’ai croisé « un pingouin Torda ». qui, alors qu’il venait de prendre son envol, est passé devant mon kayak ! Lorsque je pratique ce sport à hauteur d’eau, tout apparaît différent. Les végétaux alentours paraissent plus proches, il n’est pas rare aussi de trouver, au détour d’une ile, un campement sauvage. Naviguer sur plusieurs jours, en pratiquant le bivouac, permet de s’immerger longuement et profondément dans le milieu naturel, de se couper du bruit ambiant et finalement de se retrouver aussi intimement. Dans mes chroniques sur la page Facebook, je m’inspire aussi des livres à propos de l’eau et qui nourrissent l’imaginaire tels que :
- Paolo Rumiz : Po, le roman d’un fleuve
- Gaston Bachelard : L’eau et les rêves
- Edward Abbey : En descendant la rivière
- Marguerite Yourcenar : Comment Wang Fo fut sauvé
- Benoît Decock : Fausses pelles

Nathalie :
D’où vient cette passion du livre :

Stéphane :
Elle est ancienne. Elle est issue en grande partie de l’enfance : la lecture était alors autant un refuge qu’un moyen d’évasion. On trouve tout dans les livres : évasion, souffle, conseil, modèle, connaissance, rêve... Le livre a été et reste pour moi aussi bien un outil, dans le domaine professionnel notamment, qu’un compagnon privilégié en toutes circonstances. Les deux s’interpénètrent d’ailleurs. Quand je sors, j’ai toujours un livre sur moi, au cas où… J’aurais du mal à voyager sans livre. Les lectures dans un café, dans un train sont les moments que je préfère. La lecture crée un effet d’interprétation et de transformation de l’espace et du moment vécu. Si je lis un polar, j’aurais tendance à longer les murs. Si j’ouvre une nouvelle de Philip K. Dick, j’aurais tendance à me méfier de mon voisin dans le TGV, qui regarde d’ailleurs une série très étrange sur son portable qui n’existe nulle part ailleurs. La lecture d’Edward Abbey peut m’accompagner au fil de l’eau et constituer un voyage dans le voyage. Le livre propose tant de niveaux de lecture, d’effets de miroir et d’entrées différents et complexes qu’il en est profondément troublant.
Parfois, fiction lue et réalité se confondent si bien qu’elles peuvent s’alimenter l’une l’autre se compléter et se confondre. Dans Les soldats de Salamine, Javier Cercas explique que les morts s’accrochent aux vivants pour vivre encore un peu, à travers ces derniers. Il en est de même des personnages de fiction. Ils vivent pleinement à travers nous. Le marquis de Carabas existe bel et bien. C’est le chat Botté qui me l’a certifié.

Nathalie :
Partagez-vous cette passion pour le livre ?

Stéphane :
Oui ! J’organise tous les quinze jours avec mes étudiants un café littéraire. Nous nous réunissons dans un bar où nous échangeons autour de cinq livres. Leurs lecteurs nous livrent leur ressenti, leur découverte d’une expression singulière ou d’un dessin atypique s’il s’agit d’une bande dessinée, d’un roman, d’un manga. Les échanges sont alors riches lorsque les points de vue ne sont pas les mêmes ou lorsqu’une anecdote apparaît.

Nathalie :
Avez-vous un manuscrit en cours ?

Stéphane :
Je travaille en ce moment sur un récit sur… L’eau, qui suivra une descente imaginaire d’un fleuve, fil conducteur de ce qui serait une forme d’introspection, ou de la découverte d’une altérité, sans doute proche parfois de la folie ou d’une dimension autre. A la façon d’un livre dessiné, dans lequel le dessin aura autant d’importance que le texte. L’un ne sera pas l’illustration de l’autre et vice-versa. Au contraire, il s’agira de développer deux formes de langages.

En parallèle, nous avons travaillé, avec Gaëlle Bodelet, sur un manuscrit traitant de la question de la mémoire. Mais sous une forme très libre, à deux voix se répondant. Il convient encore d’améliorer le texte et peut-être d’y apporter des illustrations. C’est en cours de discussion entre nous.

Nathalie :
Stéphane, comme de coutume dans la revue, je vous laisse le mot de la fin ! Et je vous remercie de nous confier quelques chroniques diffusées sur la page Facebook : Kayak Rando CNB Bouchemaine ci-après cet entretien.

Stéphane :
C’est toujours une question délicate : comment finir ? Plus encore – et ce que l’on attend - : comment finir en beauté ? Mon chat, Tigrou (il sait que ce n’est pas très original comme nom, mais que voulez-vous, il s’y est fait) me regarde en souriant (Oui, il sourit, il suffit de bien le connaître pour s’en apercevoir). « Voici un beau défi » me dit-il alors qu’il me fixe assis derrière l’écran de mon ordinateur. « Tu as le choix. Tu peux très bien citer une pensée, le passage d’un auteur qui t’a particulièrement marqué et gloser là-dessus. Mais en as-tu envie ? C’est un exercice que tu as déjà fait, non ? ». Devant mon sourire malicieux, il reprend « Non, non, ne compte pas sur moi pour évoquer le chat du Cheshire et insérer entre deux mots ce subterfuge qui consiste à disparaître l’air de rien. Non seulement tu n’es pas un chat, mais tu aurais fait en plus un bien mauvais chat. Déjà, tu ne sais pas grimper ».

Il convient d’indiquer que Tigrou lit souvent au-dessus de mon épaule et qu’il retient régulièrement des phrases par cœur pour me les ressortir quelques temps après, l’air de rien. Ici, il fait le malin en faisant référence à un passage de La maison dans laquelle de Mariam Petrosyan. « Alors, comment vas-tu t’y prendre pour finir cette fois ? ». Je réfléchis un moment… Je pourrais malhonnêtement copier Corto Maltese qui, dans Les fables de Venise, raconte l’histoire de la première chatte du Jardin d’Eden. « Mais ça ne marche que comme formule introductive » soupire Tigrou en léchant sa patte… J’ai subitement une idée « -A quelle heure les chats entreprennent-ils leur banquet, mon cher Tigrou ? –A midi… -Et quelle heure est-il ? » Soudainement mon interlocuteur familier saute de la table en prononçant dans un miaulement aigu : « Midiiii ! » …

Faites silence, faites silence, c'est la queue du chat qui danse et qui disparaît. Quand le chat a dansé, l’histoire peut se terminer. Si j’ai perdu le fil du récit et de la question initiale, chemin faisant, qui, de vous, de vous ou de vous, lecteur, me reprendra ?!

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