Amalia Achard nous offre une superbe critique littéraire de Moi, ton père, de Adi Wolfson
L'amour soigne la douleur
Avant de recevoir le recueil "Moi, ton père", l'éditeur Michel Chevalier m'avait raconter en quelques mots l'histoire de ces poèmes. Je ne savais pas à quoi m'attendre.
Je lis quelques pages. J’interrompt pour pleurer un coup. Je reprend la lecture.
Chaque vers, chaque mot est chargé d'une émotion intense.
Le père d'un enfant transgenre retrace, à travers des poèmes, ses contrariétés et ses chagrins sur lesquels, plus fort que tout, l'amour domine lors de la transformation de sa fille chérie en un fils.
On pourrait se dire : de nos jours ce n'est plus possible qu'on en fasse tout un drame !
Oui, lorsqu'il s'agit des autres, mais la donnée change de tout au tout quand tu apprends que ton propre enfant souffre d'un décalage entre son corps et son identité.
À ce moment tu n'as d'autre choix que d'être fort. Assez fort pour mettre de côté ta propre souffrance et soigner la sienne car
"Un père
c'est pour toute la vie."
J'ai la chance d'avoir moi-même une fille. En lisant ce recueil je ne peux pas m'empêcher d'imaginer que cela aurait pu m'arriver à moi. Je me souviens les craintes que j'ai connu à une époque.
Quand ton enfant te dit : "Maman / papa, j'ai quelque chose à te dire..." ton cerveau sonne l’alarme ; tes muscles sont tendus ; tu croises les bras ou caches les mains dans tes poches pour pouvoir croiser les doigts.
Lorsque ton enfant devient adolescent tu te poses, malgré toi, des questions. Pour être prêt, pour ne pas être pris au dépourvu. Tu te prépares, tu calcules en avance tes réactions.
" ... qu'est-il
permis de ressentir ?"
Pourtant cela n'aura servi à rien. Si jamais la nouvelle s'abat sur toi, tous les calculs préalables restent vains. Tu perds une fille/un garçon que tu as aimé plus que tout au monde, et le fait de gagner en échange un garçon/une fille ne peut pas adoucir ton deuil.
"J'ai pensé que ce serait pire, as-tu dit
et moi j'ai pensé : on s'habitue à tout"
On s'habitue mais
"Cette douleur
n'est pas négociable"
La seule arme, le seul appui contre cette douleur est l'amour. C'est dans des moments pareils qu'on peut le mesurer, ou plutôt qu'on réalise qu'il est incommensurable.
Je lis et relis trois fois, cinq fois, dix fois d’affilé les vers suivants de ce père-poète :
"Je me suis répété, sans voix :
Je t'aime, ma fille
Je l'ai ressenti dans tout le corps
dans chaque mouvement :
Je t'aime, ma fille
Je me suis mordu les lèvres et j'ai murmuré :
Je t'aime, ma fille.
Puis de toutes mes forces, j'ai crié :
Je t'aime, mon fils."
Émue et compatissante je pleure encore car "qu'est-il permis de ressentir" d'autre ?...
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