Après Le journal du Nightstalker, et (Parenthèses), je vous propose un autre feuilleton pour vous occuper pendant le confinement, ma pièce de théâtre écrite en sonnets classiques, L'Être et le Néant.
Les publications se feront quotidiennement.
Maintenant que la première époque est terminée, je joins à ma publication une vidéo d'un de mes auteurs et comédien, Thierry Moral, qui la déclame intégralement... Je dois dire que je suis soufflé par son travail, son interprétation du Néant est tout bonnement à couper le souffle !
Et voici l'épilogue ; la publication de cette pièce de théâtre est maintenant complète
J’aspirais à la joie, et je l’ai rencontrée
– Le sais-tu ? – Maintes fois, en de très nombreux lieux :
Un sourire d’enfant, un rire au coin des yeux,
Ah, cela peut soigner plus d’une âme égarée !
Qu’est-ce que le Néant, que sa crainte sacrée
Qui me tétanisait ? Moins que du vent, mon vieux !
Vraiment, la vie abonde en instants précieux,
La soif de qui les cueille en est désaltérée !
Combien de temps vivrai-je ? Un siècle, ou moins d’un an ?
Après tout, peu me chaut, si je vis pleinement,
Émaillant mon séjour sur terre de partage,
Ouvert à l’imprévu, sachant m’émerveiller
De voir un arbre mort au printemps verdoyer !
Vivre, tout simplement, n’est-ce pas le plus sage ?
―― Fin ――
Et ce qui précède :
Ah, que je suis heureux en ce jour d’être en vie,
De profiter de tout, de goûter chaque jour !
Je croque à pleines dents, plus souvent qu’à mon tour
Tout ce qui m’est donné, car telle est mon envie !
De ce chemin tracé…
Enveloppe sans cœur, misérable exuvie !
La soirée était longue et je crois bien avoir
Exagéré, peut-être… Et c’est pourquoi, dès l’aube
Ce noir cafard survient… Mais je te chasserai,
Vile tentation, noir cauchemar en robe,
Tu ne me vaincras pas ! C’est moi qui sourirai !
Pourquoi donc me crains-tu ? Ne suis-je pas toi-même,
Ou plutôt ton reflet, mais fidèle en tout point ?
L’on me nomme Néant ; je t’en prends à témoin,
De moi n’es-tu tissé, communion suprême ?
Oh, l’esprit indolent me repousse et blasphème :
« Tu n’es rien, moins que rien ! » C’est faux ! Tout être est oint
De mon sceau ! Je l’attire, et si fort, de si loin,
Qu’il suffit d’y penser pour qu’on s’effondre, blême !
Il n’est pas né qui me nuira ; car, tel le vent,
Je me défile, on est Gros Jean comme devant,
Nul ne peut m’attraper, tant je suis impalpable !
Mais c’est bien en mon sein qu’un jour tout finira ;
Quand viendra ce jour là, l’on verra qui rira !
Car qui tiendra ? Pas un ! Nul n’en sera capable !
Crois-tu me faire peur ? Ah, crois-moi, peu m’en chaut !
Si je suis aujourd’hui, c’est ce jour que je danse,
Je chante et m’en emplis. Et je veux qu’il soit dense,
De minutes chargé, que mon cœur soit si chaud
Qu’il s’en consume ! En effeuillant cet artichaut,
J’en goûterai chaque pétale ; elle est immense,
Cette joie en laquelle à jamais je m’avance !
Ainsi, chaque matin, je goûte un nouveau show !
Toi qui sans fin m’attends, immobile et sans vie,
Sans âme, sans bonheur, qui ne connais l’envie ;
Toi qui ne mourras pas ; dis-moi, même confus,
Ne ressens-tu ce manque et cet immense vide
Qui ne te quitte pas, tandis que se dévide
Sans fin le fil du temps ? Car jamais tu ne fus !
Tu t’agites, tu cours ; mais n’est-ce du vain bruit ?
Oh, tu crois que tu vis, mais n’est-ce une chimère ?
Car je suis déjà là, cœur de ta peine amère ;
Tu t’amuses le jour, mais tu pleures la nuit !
Que tes plaisirs sont vains ! La tristesse est leur fruit !
Repose-toi plutôt en moi ; je suis ta mère !
À mon sein, tu boiras le repos qu’on espère...
Et l’on me vilipende et me hait ; l’on me fuit !
En ton âme assieds-toi ; vois donc : tu m’y retrouves !
Je suis là, bien présent ; mais toi, tu me réprouves !
Et pour ne voir ma face, ah, tu caches tes yeux !
Je suis cette ténèbre au dedans de ton crâne
Qui t’appelle et t’attend, quand tu ris comme un âne...
Mais je suis toujours là, plus puissant que tes dieux !
« Mais je suis toujours là, plus puissant que tes dieux ! »
Quel est donc ce blasphème, ectoplasme impalpable ?
Je ne suis un païen, me croirais-tu capable
De vile idolâtrie, ainsi que nos aïeux
Qui, dans les temps anciens, dès qu’ils posaient les yeux
Sur un astre, une bête, ou même un peu de sable,
Dressaient une statue en un élan coupable ?
Non, je ne suis pas tel, non ! Car moi, je suis pieux !
Qu’on le nomme Jésus, Allah, ou l’Architecte
Suprême, peu m’en chaut, de tout cœur je respecte
En lui celui qui fut ; il est ; mieux, il sera !
Et ne suis-je un peu lui ? Car si l’homme est dit “Être”,
N’est-ce qu’il le façonne à l’aune de son mètre,
Sans fin, jour après jour ? Ne vois-tu son aura ?
Crier, et t’indigner ? Cela ne te sied guère,
Si nombreux sont tes dieux qu’ils peuvent dire “nous” ;
Devant de vils humains, ne te vis-je à genoux ?
Tel ordonne et commande, ou bien, parfois, suggère
De tuer, massacrer, violer – C’est la guerre ! – ;
Et, tel un léopard sur un troupeau de gnous,
Oubliant tes Yavhés, tes Boudhas, tes Vishnous
Et même la raison, tu mets l’enfer sur terre :
Tu fonds sur le vieillard, l’innocent ; sur l’enfant,
Torturant sans pitié, barbare triomphant,
Puis tuant par plaisir pervers et délétère !
Au nom de ci, de ça, tu m’ouvres le chemin,
Que s’étende mon règne en chaque lendemain !
Quel culte tu me rends, du fond de ta colère !
Le jeune homme
Les publications se feront quotidiennement.
Maintenant que la première époque est terminée, je joins à ma publication une vidéo d'un de mes auteurs et comédien, Thierry Moral, qui la déclame intégralement... Je dois dire que je suis soufflé par son travail, son interprétation du Néant est tout bonnement à couper le souffle !
Et voici l'épilogue ; la publication de cette pièce de théâtre est maintenant complète
Épilogue
Le jeune homme, maintenant d’âge mur, son fils
Vingt ans plus tard
Le jeune homme
(à son fils)
– Le sais-tu ? – Maintes fois, en de très nombreux lieux :
Un sourire d’enfant, un rire au coin des yeux,
Ah, cela peut soigner plus d’une âme égarée !
Qu’est-ce que le Néant, que sa crainte sacrée
Qui me tétanisait ? Moins que du vent, mon vieux !
Vraiment, la vie abonde en instants précieux,
La soif de qui les cueille en est désaltérée !
Combien de temps vivrai-je ? Un siècle, ou moins d’un an ?
Après tout, peu me chaut, si je vis pleinement,
Émaillant mon séjour sur terre de partage,
Ouvert à l’imprévu, sachant m’émerveiller
De voir un arbre mort au printemps verdoyer !
Vivre, tout simplement, n’est-ce pas le plus sage ?
―― Fin ――
_________________________________________________________________________________
Et ce qui précède :
Première époque
Le jeune homme, le Néant
Dans une salle de bains ; un calendrier, au mur, indique la date
Le jeune homme,
en train de se raser, devant son miroir
Ah, que je suis heureux en ce jour d’être en vie,
De profiter de tout, de goûter chaque jour !
Je croque à pleines dents, plus souvent qu’à mon tour
Tout ce qui m’est donné, car telle est mon envie !
Il esquisse un pas de danse, et chantonne ;
pendant ce temps son reflet se trouble
Et je chante, et je danse, et point je ne dévieDe ce chemin tracé…
Regardant le miroir, ou son reflet est devenu une capuche
noire recouvrant un crâne au sourire moqueur.
………………………...... Mes yeux me jouent un tour ?
Quel est ce sortilège ? Oh, fuis, sombre vautour, Enveloppe sans cœur, misérable exuvie !
Se prenant la tête
C’est sûrement l’alcool que j’ai bu hier au soir,La soirée était longue et je crois bien avoir
Exagéré, peut-être… Et c’est pourquoi, dès l’aube
Ce noir cafard survient… Mais je te chasserai,
Vile tentation, noir cauchemar en robe,
Tu ne me vaincras pas ! C’est moi qui sourirai !
Le Néant
Ou plutôt ton reflet, mais fidèle en tout point ?
L’on me nomme Néant ; je t’en prends à témoin,
De moi n’es-tu tissé, communion suprême ?
Oh, l’esprit indolent me repousse et blasphème :
« Tu n’es rien, moins que rien ! » C’est faux ! Tout être est oint
De mon sceau ! Je l’attire, et si fort, de si loin,
Qu’il suffit d’y penser pour qu’on s’effondre, blême !
Il n’est pas né qui me nuira ; car, tel le vent,
Je me défile, on est Gros Jean comme devant,
Nul ne peut m’attraper, tant je suis impalpable !
Mais c’est bien en mon sein qu’un jour tout finira ;
Quand viendra ce jour là, l’on verra qui rira !
Car qui tiendra ? Pas un ! Nul n’en sera capable !
Le jeune homme,
se reprenant
Crois-tu me faire peur ? Ah, crois-moi, peu m’en chaut !
Si je suis aujourd’hui, c’est ce jour que je danse,
Je chante et m’en emplis. Et je veux qu’il soit dense,
De minutes chargé, que mon cœur soit si chaud
Qu’il s’en consume ! En effeuillant cet artichaut,
J’en goûterai chaque pétale ; elle est immense,
Cette joie en laquelle à jamais je m’avance !
Ainsi, chaque matin, je goûte un nouveau show !
Toi qui sans fin m’attends, immobile et sans vie,
Sans âme, sans bonheur, qui ne connais l’envie ;
Toi qui ne mourras pas ; dis-moi, même confus,
Ne ressens-tu ce manque et cet immense vide
Qui ne te quitte pas, tandis que se dévide
Sans fin le fil du temps ? Car jamais tu ne fus !
Le Néant
Tu t’agites, tu cours ; mais n’est-ce du vain bruit ?
Oh, tu crois que tu vis, mais n’est-ce une chimère ?
Car je suis déjà là, cœur de ta peine amère ;
Tu t’amuses le jour, mais tu pleures la nuit !
Que tes plaisirs sont vains ! La tristesse est leur fruit !
Repose-toi plutôt en moi ; je suis ta mère !
À mon sein, tu boiras le repos qu’on espère...
Et l’on me vilipende et me hait ; l’on me fuit !
En ton âme assieds-toi ; vois donc : tu m’y retrouves !
Je suis là, bien présent ; mais toi, tu me réprouves !
Et pour ne voir ma face, ah, tu caches tes yeux !
Je suis cette ténèbre au dedans de ton crâne
Qui t’appelle et t’attend, quand tu ris comme un âne...
Mais je suis toujours là, plus puissant que tes dieux !
Le jeune homme
« Mais je suis toujours là, plus puissant que tes dieux ! »
Quel est donc ce blasphème, ectoplasme impalpable ?
Je ne suis un païen, me croirais-tu capable
De vile idolâtrie, ainsi que nos aïeux
Qui, dans les temps anciens, dès qu’ils posaient les yeux
Sur un astre, une bête, ou même un peu de sable,
Dressaient une statue en un élan coupable ?
Non, je ne suis pas tel, non ! Car moi, je suis pieux !
Qu’on le nomme Jésus, Allah, ou l’Architecte
Suprême, peu m’en chaut, de tout cœur je respecte
En lui celui qui fut ; il est ; mieux, il sera !
Et ne suis-je un peu lui ? Car si l’homme est dit “Être”,
N’est-ce qu’il le façonne à l’aune de son mètre,
Sans fin, jour après jour ? Ne vois-tu son aura ?
Le Néant
Crier, et t’indigner ? Cela ne te sied guère,
Si nombreux sont tes dieux qu’ils peuvent dire “nous” ;
Devant de vils humains, ne te vis-je à genoux ?
Tel ordonne et commande, ou bien, parfois, suggère
De tuer, massacrer, violer – C’est la guerre ! – ;
Et, tel un léopard sur un troupeau de gnous,
Oubliant tes Yavhés, tes Boudhas, tes Vishnous
Et même la raison, tu mets l’enfer sur terre :
Tu fonds sur le vieillard, l’innocent ; sur l’enfant,
Torturant sans pitié, barbare triomphant,
Puis tuant par plaisir pervers et délétère !
Au nom de ci, de ça, tu m’ouvres le chemin,
Que s’étende mon règne en chaque lendemain !
Quel culte tu me rends, du fond de ta colère !
Le jeune homme
Attends, attends, attends ! Parfois, je déraisonne,
C’est bien trop vrai, mais chaque fois je m’en repends ;
Et si, quand ma folie éclate, je n’entends
Plus rien, hélas, que le clairon quand il résonne,
Tout mon cœur, très bientôt, d’horreur alors frissonne !
Je jure alors : la der des der, ou je me pends !
Qui tentera de m’entraîner là, je l’attends !
Je ne me mettrai plus à genoux pour personne !
Non, je vivrai de paix, prenant le plus grand soin
De la vie ! Et celui qui l’attaquerait, loin
Je le rejetterai, pour qu’une nouvelle ère
Puisse ainsi commencer, chacun, selon son cœur,
Sachant trouver – n’est-ce son vœu ? – le vrai bonheur :
Demeurer sans souci, bien tranquille, prospère !
« Demeurer sans souci, bien tranquille, prospère »
Est-ce là ton seul but, et ne veux-tu donc rien
De plus ; est-ce donc vrai ? Tu vois là le seul bien ?
Permets que je me gausse, oh oui, mon petit père,
Mesquin comme un bourgeois, aimant la bonne chère,
Les vins fins, le cigare, et pour couvrir ton chien
Un manteau de mohair... Ha ! Toi, le pharisien,
Que je suis fort en toi ! Car ce que je préfère
C’est le vide intérieur, et les bons sentiments
Dont il se gargarise... Oh, dis-moi que je mens,
Si tu l’oses ! Pourtant, vois ! Quand tu te prélasses
N’entends-tu pas le cri de ton frère et ta sœur
Mourant de soif, de faim, d’injustice et de peur ?
Non, cela ne t’atteint, d’un geste tu l’effaces !
Avec un portefeuille à la place du cœur,
Tu vénères Mammon et te fais son esclave ;
Mais d’où vient ton argent ? Qu’importe ! Qu’on le lave,
Qu’on le blanchisse à fond ; il n’aura plus d’odeur !
Qui pourrait donc nier que je suis grand vainqueur ?
Car du beau nom de “biens”, ô candide zouave,
Tu nommes les lingots, tout au fond de ta cave
Enterrés, à l’abri – que tu crois ! – du malheur !
Tu seras dépouillé, quand viendra la tempête,
De tout ce superflu ! Ne perdras-tu la tête ?
Et ne conviendras-tu, ce jour, que je suis là,
Que je t’ai dévoré, que plus rien ne te reste ?
Toi qui, pour te louer toi-même, étais si preste,
Que te restera-t-il au seuil de l’au-delà ?
Mammon n’est pas mon Dieu ! C’est de la calomnie !
L‘argent n’est qu’un moyen, utile, et je m’en sers
Autant que de besoin – Nul ne peut vivre d’airs –
Mais il n’est pas mon but ! Entends-tu ? Je le nie !
Non, je vénère Éros, et la douce harmonie
D’un visage soyeux, de seins fermes, d’yeux pers...
Une croupe avenante est tout un univers
Où j’aime à me noyer ! Oui, n’est-elle infinie,
La jouissance ? Et pour humer des cheveux d’or,
Sans un regret, tout mon argent, dans le décor,
Oui, je le jetterai ! C’est là le prix d’un ange !
Quand je fusionne avec la belle je ne puis
Me retenir de m’exclamer “Oh oui ! Je suis !”
Tu te crois donc un Dieu ? C’est moi qui suis ton Roi !
Tu le sens aussitôt, dès que se désenlace
Ce couple d’un moment, déjà ta chair est lasse...
Car, sais-tu, je m’y tiens ; oui, tout au fond de toi !
Alors, pour m’oublier, en reniant ta foi,
Tu changes de jument ; ton appétit vorace
Veut toujours voir ailleurs ; et qu’ainsi se fracasse
Son espoir, ne t’émeut ! Pour toi, c’est un exploit :
“Bourreau des cœurs”, dis-tu ; ce titre, tu t’en vantes
En osant te gausser des peines éprouvantes
De celle qui t’avait, un jour, pris pour son tout !
Ainsi donc, je grandis, dans son cœur, dans ton âme,
Et je m’en réjouis... Entends mon rire infâme
Je suis passionné ; c’est l’Amour que je chante,
Avec A majuscule, oui, celui qui conquit
Mon être, corps et cœur et tripes, qui vainquit
Mon âme ; sa flamme est ombrageuse et puissante !
Il lave et purifie, il tue et puis enfante ;
C’est par lui que je vis ; il est celui par qui
Je suis, à tout jamais, tel celui qui naquit
Le jour même ; et ceci dès que je suis sa sente !
De toujours à toujours, les plus grands l’ont loué
En des vers sans pareils ; sur scène on l’a joué,
Des rois se sont pâmés ; n’as-tu donc lu Shakespeare ?
Juliette et Roméo... Qu’est-il donc de plus beau ?
Celui qui l’écrivit n’est certes un nabot !
Mais que lis-je en tes traits ? Tu ne vas pas en rire ?
Je ris à pleins poumons, à m’en plier en deux !
Ils sont drôles, vraiment – et pourtant, bien tragiques –
Ces soupirs enflammés et ces serments épiques,
Ces suicides abscons et ces meurtres hideux
Où cette passion aux sentiers hasardeux
Vous traîne, pieds et poings liés ; les romantiques,
En osant la vanter en vers dithyrambiques,
Sont mes bons serviteurs, je puis me louer d’eux !
Ah, mourir par amour, tuer par jalousie !
Sublime invention, merveilleuse hérésie
Que je sus insuffler en vos cœurs, mes petits,
Mes merveilleux enfants, qui confondez vos glandes
Et votre âme... Ô, mes sots ! Mes ténèbres gourmandes
Vous engloutissent tous !
Le Néant
« Demeurer sans souci, bien tranquille, prospère »
Est-ce là ton seul but, et ne veux-tu donc rien
De plus ; est-ce donc vrai ? Tu vois là le seul bien ?
Permets que je me gausse, oh oui, mon petit père,
Mesquin comme un bourgeois, aimant la bonne chère,
Les vins fins, le cigare, et pour couvrir ton chien
Un manteau de mohair... Ha ! Toi, le pharisien,
Que je suis fort en toi ! Car ce que je préfère
C’est le vide intérieur, et les bons sentiments
Dont il se gargarise... Oh, dis-moi que je mens,
Si tu l’oses ! Pourtant, vois ! Quand tu te prélasses
N’entends-tu pas le cri de ton frère et ta sœur
Mourant de soif, de faim, d’injustice et de peur ?
Non, cela ne t’atteint, d’un geste tu l’effaces !
Avec un portefeuille à la place du cœur,
Tu vénères Mammon et te fais son esclave ;
Mais d’où vient ton argent ? Qu’importe ! Qu’on le lave,
Qu’on le blanchisse à fond ; il n’aura plus d’odeur !
Qui pourrait donc nier que je suis grand vainqueur ?
Car du beau nom de “biens”, ô candide zouave,
Tu nommes les lingots, tout au fond de ta cave
Enterrés, à l’abri – que tu crois ! – du malheur !
Tu seras dépouillé, quand viendra la tempête,
De tout ce superflu ! Ne perdras-tu la tête ?
Et ne conviendras-tu, ce jour, que je suis là,
Que je t’ai dévoré, que plus rien ne te reste ?
Toi qui, pour te louer toi-même, étais si preste,
Que te restera-t-il au seuil de l’au-delà ?
Le jeune homme
Mammon n’est pas mon Dieu ! C’est de la calomnie !
L‘argent n’est qu’un moyen, utile, et je m’en sers
Autant que de besoin – Nul ne peut vivre d’airs –
Mais il n’est pas mon but ! Entends-tu ? Je le nie !
Non, je vénère Éros, et la douce harmonie
D’un visage soyeux, de seins fermes, d’yeux pers...
Une croupe avenante est tout un univers
Où j’aime à me noyer ! Oui, n’est-elle infinie,
La jouissance ? Et pour humer des cheveux d’or,
Sans un regret, tout mon argent, dans le décor,
Oui, je le jetterai ! C’est là le prix d’un ange !
Quand je fusionne avec la belle je ne puis
Me retenir de m’exclamer “Oh oui ! Je suis !”
Me voici devenu divin, quittant la fange !
Le Néant
Tu te crois donc un Dieu ? C’est moi qui suis ton Roi !
Tu le sens aussitôt, dès que se désenlace
Ce couple d’un moment, déjà ta chair est lasse...
Car, sais-tu, je m’y tiens ; oui, tout au fond de toi !
Alors, pour m’oublier, en reniant ta foi,
Tu changes de jument ; ton appétit vorace
Veut toujours voir ailleurs ; et qu’ainsi se fracasse
Son espoir, ne t’émeut ! Pour toi, c’est un exploit :
“Bourreau des cœurs”, dis-tu ; ce titre, tu t’en vantes
En osant te gausser des peines éprouvantes
De celle qui t’avait, un jour, pris pour son tout !
Ainsi donc, je grandis, dans son cœur, dans ton âme,
Et je m’en réjouis... Entends mon rire infâme
Tandis que je te flatte, adorable toutou !
Le jeune homme
Je suis passionné ; c’est l’Amour que je chante,
Avec A majuscule, oui, celui qui conquit
Mon être, corps et cœur et tripes, qui vainquit
Mon âme ; sa flamme est ombrageuse et puissante !
Il lave et purifie, il tue et puis enfante ;
C’est par lui que je vis ; il est celui par qui
Je suis, à tout jamais, tel celui qui naquit
Le jour même ; et ceci dès que je suis sa sente !
De toujours à toujours, les plus grands l’ont loué
En des vers sans pareils ; sur scène on l’a joué,
Des rois se sont pâmés ; n’as-tu donc lu Shakespeare ?
Juliette et Roméo... Qu’est-il donc de plus beau ?
Celui qui l’écrivit n’est certes un nabot !
Mais que lis-je en tes traits ? Tu ne vas pas en rire ?
Le Néant
(Il rit à en perdre haleine, puis :)
Ils sont drôles, vraiment – et pourtant, bien tragiques –
Ces soupirs enflammés et ces serments épiques,
Ces suicides abscons et ces meurtres hideux
Où cette passion aux sentiers hasardeux
Vous traîne, pieds et poings liés ; les romantiques,
En osant la vanter en vers dithyrambiques,
Sont mes bons serviteurs, je puis me louer d’eux !
Ah, mourir par amour, tuer par jalousie !
Sublime invention, merveilleuse hérésie
Que je sus insuffler en vos cœurs, mes petits,
Mes merveilleux enfants, qui confondez vos glandes
Et votre âme... Ô, mes sots ! Mes ténèbres gourmandes
Vous engloutissent tous !
Le jeune homme
Qui donc es-tu ? Toi qui n’est rien, moins que du vide,
Qui donc put t’accorder ce pouvoir si puissant
D’ainsi pulvériser – me glaçant jusqu’au sang –,
Tout ce qui me paraît, quand je suis moins lucide,
Le cœur de la beauté, quintessence splendide
De ce qui fut mon existence... Ah, l’angoissant
Dilemme ! À quoi croirai-je ?... Euréka ! Ressassant
Tout ce que tu me dis, je vois sur quoi, solide,
Je pourrai me fonder... Oui ! Ce socle, c’est Moi !
Cela n’est-il point vrai ? Et je mettais ma foi
Dans ceci, dans cela ? C’était pure folie,
Je le vois désormais, et je t’en dis merci ;
À compter de ce jour, qu’il en soit donc ainsi :
De savoir que Je Suis, que cela me délie !
Ah, qu’il est bon élève, et docile à souhait !
Comment, selon mes vœux, par le nez je le mène ;
De quel bon cœur il suit les chemins de ma haine !
Pouvais-je donc rêver plus merveilleux jouet ?
Oui, vraiment, je me tords, de rire secoué !
Le voilà se mirant dans son nombril amène,
Cœur de tout, le croit-il ? Et son âme est sereine ?
Vais-je m’arrêter là ? Car je l’ai bien floué !
Mais je suis trop avide, et j’en veux plus encore ;
Oui, je le veux entier ! Qu’à genoux, il m’honore !
Je vais prendre mon temps, en lui laissant l’espoir
Dont le chat gratifie en riant la souris,
Tout en sachant bien qui, sur la fin, sera pris ;
Quand le soir tombera, viendra l’heure du noir !
―― Rideau ――
Le Néant
(pour lui-même)
Ah, qu’il est bon élève, et docile à souhait !
Comment, selon mes vœux, par le nez je le mène ;
De quel bon cœur il suit les chemins de ma haine !
Pouvais-je donc rêver plus merveilleux jouet ?
Oui, vraiment, je me tords, de rire secoué !
Le voilà se mirant dans son nombril amène,
Cœur de tout, le croit-il ? Et son âme est sereine ?
Vais-je m’arrêter là ? Car je l’ai bien floué !
Mais je suis trop avide, et j’en veux plus encore ;
Oui, je le veux entier ! Qu’à genoux, il m’honore !
Je vais prendre mon temps, en lui laissant l’espoir
Dont le chat gratifie en riant la souris,
Tout en sachant bien qui, sur la fin, sera pris ;
Quand le soir tombera, viendra l’heure du noir !
―― Rideau ――
Deuxième époque
Le jeune homme, le Néant
Un an plus tard
Dans un salon, le calendrier montre qu’un an a passé.
Le Néant, dans l’écran de la télé, attend l’arrivée de l’Être qui vient se raser.
Le Néant
Mon ami, te voilà ! Ne te sens-tu bien seul,
À méditer sur toi toute une année entière ?
Dis-moi : de ta superbe et de ta morgue altière
N’es-tu rassasié, toi, mon gentil filleul ?
Le jeune homme
Comment donc oses-tu ? Oh, dis « mon épagneul »,
Car c’est là ta pensée, aveugle autant que fière !
Je ne suis ton toutou ! C’est bien là ta manière,
Ce mépris !... Et pourtant, j’ai l’âme en un linceul,
Il est vrai... Je me sens vain, inutile ; et j’erre
Au long des jours, de plus en plus tout m’indiffère...
Ne m’avais-tu trompé par ton conseil abscon ?
Tu me menas par tes chemins, je fus ta dupe ;
Mais c’est ma vie, elle est à moi, que je l’occupe
Utilement ; et qu’ici-bas, je sois fécond !
Des images de révolution glorieuse apparaissent fugitivement
dans l’écran de la télé pendant qu’il parle.
dans l’écran de la télé pendant qu’il parle.
J’ai choisi mon chemin : rentrer en politique !
Qu’est-il donc de plus grand ? Servir la nation,
Quel bel engagement ! Oui, c’est ma passion ;
Que je sois un leader fort et charismatique !
Les foules me suivront dans cette dynamique
Où je les mènerai ; par des ovations
Chacun m’acclamera ; leurs protestations
Contre l’iniquité seront mon viatique,
Je combattrai de front, puis vaincrai les puissants,
Ce sera le Grand Soir, le jour où tous les Sans
Culotte règneront ; vive la République
Des humbles et des gueux, des pauvres, des manants ;
Vous vivrez avec moi des jours hallucinants ;
Marchez donc avec moi sur cette route épique !
Le Néant
« Où je les mènerai » ? Choisis bien ton chemin !
Ne les conduit-il droit vers ma bouche béante ?
Regarde ce que fut ce siècle d’épouvante,
De guerres, de goulags, où tant de sang carmin
(images d’archives de massacres pendant la guerre, fugitives)
Fut partout répandu ! Pour prix d’un lendemain
Meilleur, tant attendu, la victime sanglante
Des vieux rites païens n’était assez puissante !
Et c’est donc par millions qu’en un seul tournemain
L’ont pu voir immolés dans la fournaise ardente
Tant et tant d’innocents... Le Grand Soir, quelle attente,
Et quel prix à payer ! Est-ce là ton désir ?
Alors, viens dans mes bras, mon allié fidèle ;
Je saurai te payer largement pour ton zèle ;
Le monde sera tien ! Tien sera l’avenir !
Tien sera l’avenir... Devrais-je dire mien ?
Mais n’est-ce pas tout un ? Ne sommes-nous deux faces
D’une même monnaie ? Ainsi, quoi que tu fasses,
Je serai là, présent ; d’ailleurs, tu le sais bien,
Quand tu veux le nier, cela ne sert de rien !
Tu pourras bien changer de miroirs et de glaces,
Toujours tu me verras, te faisant des grimaces
Avec tes propres traits ! Ah, deviens stoïcien,
Accepte donc ce fait au lieu de te débattre,
De te blesser toi-même, et de bientôt t’abattre
Avec ta propre épée ; en voulant me trancher
Le cou, que je n’ai pas, n’est-ce ta propre tête
Qui va tomber ? N’en conviens-tu, ce serait bête !
Combattre contre moi ? C’est, contre toi, pécher !
Allez, résigne-toi, car c’est inéluctable ;
Même si tu me fuis, je demeure avec toi ;
Je ne peux m’en aller, sais-tu ? N’es-tu mon toit ?
De me faire une place, es-tu donc incapable ?
Je sais être discret ! “Ectoplasme impalpable”,
Ainsi tu me nommais, un jour... Je ne suis roi,
Mais silence... Attentif, pourtant ! Ne mets ta foi
Dans une idole... Alors, je serai redoutable !
Rappelle-toi nos entretiens : fuis tes faux dieux,
Je les combats ! Contre eux, je serai glorieux,
Car je les connais bien ; ne suis-je pas leur père ?
Mais si tu n’en n’as point, ne sois pas soucieux,
Tu ne me verras pas jusqu’à devenir vieux ;
Lors, tu m’appelleras : « Viens, trépas, je t’espère ! »
Le jeune homme
Tu résides en moi, mais comme le cancer
Attendant le moment de croître, et croître encore ;
Des ans durant, tant qu’il attend l’heure, indolore,
On ne sait pas qu’il prend racine en notre chair ;
Mais un beau jour il se réveille ; en un éclair
Il nous achève... et nous mourons : il nous dévore
Par les boyaux ; car tel il est, ce carnivore !
Et tel es-tu ! Lors, dis-le toi, que ce soit clair :
Non, tu n’es pas le bienvenu ! Je te déteste !
Car ainsi je te vois, comme un mal qui m’infeste
Et me vaincra... Moi, j’aspire à l’éternité !
Ah, combien je te hais, condition mortelle !
Ce fruit empoisonné, dont la sève me gèle,
Par toi je l’ai croqué, cruelle déité !
Bon gré, mal gré, il faudra bien que je m’y fasse...
De ta présence, il n’est prudent de faire fi ;
Eurêka ! Bien plutôt, j’en tirerai profit !
Tu seras ce miroir magique, cette glace
Qui chaque jour, me crachera, droit dans la face,
Tous mes égarements... Relevant le défi,
Je me corrigerai ! C’est d’ailleurs ce que fit
Tout ce long entretien... Ainsi, que je dépasse
Mes préjugés hâtifs ! Redoutable kami,
Néant, je te prendrai pour mon ami !
Tu me rendras ainsi le meilleur des services :
Comme il n’est rien qui devant toi restera tu,
Je saurai comment prendre un chemin de vertu ;
Et c’est ainsi que je pourrai traquer mes vices !
Où donc en étions-nous... N’ai-je perdu le fil ?
Ah oui, je me souviens ! L’entrée en politique...
Je m’exaltais, dans un élan très romantique ;
C’est pourquoi tu raillais mon discours puéril :
“ Sais-tu combien de morts coûtera ton babil ?
N’est-ce toujours ainsi ? La chevauchée épique
Ne peut qu’être un massacre, et bien fol qui se pique
D’en tirer gloriole ! Alors, ainsi soit-il,
J’en tirerai profit, pour ma plus grande gloire !
Que m’importe, après tout, que la nuit soit si noire
Pour tant, tant d’innocents, égorgés sur l’autel
De tes vœux insensés ? Ton ire furieuse
N’est que du pain béni pour ma bouche envieuse ! ”
Merci d’ouvrir mes yeux ! Ce ne sera pas tel !
Je régnerai plutôt comme un monarque sage,
Avisé, bienveillant, ne visant que le bien
De ses gens, et surtout, ne s’offusquant de rien,
Tolérant sans frémir tout offensant outrage
Que profère parfois le bas peuple sauvage...
Mais qu’importe après tout si tel, semblable au chien,
Ose hurler sur la main qui veut ôter son lien ?
Ce n’est qu’un vil manant, je ne serai l’otage
De son idiotie et de sa cécité !
Non, pour me détourner du bien de la cité,
Il en faudrait bien plus ! Qu’elle soit radieuse !
Aux siècles à venir, tel sera mon renom
Qu’on me glorifiera, me nommant “Le Grand” ! Non ?
Quel est donc ce rictus sur ta bouche moqueuse ?
Le Néant
Un rictus ? Mon ami, tu mériterais pire !
Ne dirait-on que c’est ton but, que je me gausse ?
N’est-ce de moi que tu t’emplis ? Ce n’est que fausse
Gloriole et tapage ; ô dieux, quel bel empire !
T’entends-tu ? Quel mépris ! Comment ne pas en rire ?
Pour soigner cette enflure aux chevilles, déchausse
Toi, tu vas exploser, être mûr pour la fosse !
Sérieux, penses-tu ce que tu viens de dire ?
M’oublier est fatal à ta pauvre raison,
Et penser plus à moi serait ta guérison ;
Encor te faudrait-il oser t’en mettre en quête !
Je rode en toi, toujours vorace, et seul me vainc
Celui qui, le sachant, se connaît comme vain ;
En se tournant vers l’autre, il évite la bête !
Le jeune homme
Me tourner vers autrui ? C’est ce que je ferai !
En portant mon regard par-delà la frontière,
Je pars pour m’engager dans l’aide humanitaire ;
Contre la pauvreté, que je sois un fleuret
Dansant, virevoltant, lui coupant le jarret !
Puis, ayant accompli ma tâche journalière
– Soigner des miséreux – mon âme sera fière !
Boire un thé, dans le souk, auprès d’un minaret,
Ce sera ma détente... Et quelle récompense
Que de pouvoir dormir en paix, la conscience
Apaisée, en sachant tout ce que j’aurai fait !
Quel bonheur, repoussant tout le vain, le futile,
Que d’occuper son temps à faire une œuvre utile !
Oui, je serai comblé, pleinement satisfait !
Le Néant
Tu crois être un héros... C’est par là que tu pèches !
Tu recherches ta gloire ; et n’eût-il mieux valu
Que tu vises d’abord du pauvre le salut ?
Tu te vois comme un saint ; bien mieux, tu t’en pourlèches ,
Mais supporteras-tu les jours les plus revêches,
Où tel, que tu soignas, dira : « Hurluberlu,
Mécréant, je honnis ton peuple dissolu !
Fuis, pendant qu’il est temps ! Ma colère est flammèches
Aujourd’hui ; mais demain, c’est un brasier ardent
Qui jaillira d’ici pour brûler l’Occident
Impie ! Il condescend, en bonne conscience,
À venir soulager le mal qu’il a causé
Lui même ; il nous méprise, il nous affame, et d’un baiser
Nous calme ? Avez-vous vu pareille outrecuidance ? »
Le jeune homme
Que tes propos sont durs ! Et pourtant, je t’entends,
Et je comprends, je crois, ce que tu me reproches...
Mais la leçon est âpre à nos pauvres caboches !
Être vivant, tu ne le sais, est un printemps
Si débordant, que tout entier, oui ! Je me tends
Pour mieux en profiter, tout comme les mioches
Qui ne voient pas plus loin que le fond de leurs poches !
C’est une illusion fatale aux débutants,
Car quiconque se cherche à tout jamais s’égare ;
L’on croit toucher le ciel, et soudain, comme Icare,
On se retrouve au sol, où, toi, tu nous attends...
Non, c’est en s’oubliant que l’on peut vraiment Vivre,
Et sans penser à soi que, souvent, l’on s’enivre
De nectar, d’ambroisie, à l’instar des titans !
Comment mieux s’oublier que de tourner son âme,
Son cœur et son esprit vers le maître des Cieux ?
C’est lui qui nous donna, comme don précieux,
L’existence et l’essence, et dont brille la flamme
À travers sa parole... Et n’est-elle une lame,
Une épée au tranchant vraiment prodigieux ?
N’est-il certain que nul, sous ses coups furieux,
Ne saurait résister ? Que périsse l’infâme !
À lui je me consacre, à son feu rugissant,
Pour lui je verserai sans compter tout mon sang ;
Le Paradis m’attend, après tout ! Peu m’importe !
Et j’exterminerai les suppôts de Satan,
Ces vils, ces mécréants, qui me répugnent tant !
Le mal est dans mon peuple ? Il faudra qu’il en sorte !
Hélas, trois fois hélas ! Devant toi tout s’écroule,
Et même le sacré ? Ne reste-t-il donc rien
Qui de toi ne s’entache ? Au cœur même du bien,
Tu projettes ton ombre, et comme elle s’y coule,
Il en est perverti ? C’est à perdre la boule !
Et celui qui se voulait saint finit vaurien,
Criminel, assassin ; il a rompu le lien
Avec l’humanité ; s’extirpant de la foule
Dans son désir d’être ange, il devient un démon…
Mon Dieu, mon Dieu, mon Dieu, est-ce vraiment là mon
Destin ? Je m’y refuse ! Alors, je cherche un maître
Pour débusquer, trouver une solution !
J’engagerai sans frein toute ma passion,
Je ne renoncerai, même au prix de mon être !
Mais où pourrai-je enfin trouver ce que je veux ?
Vraiment, pour m’extirper de cette peine amère,
J’irai sans hésiter jusqu’au bout de la Terre !
En Inde, l’on m’a dit, vit tel gourou fameux…
Oui, j’irai l’écouter ! S’il devient écumeux
Tandis qu’au long des jours, des nuits, il vitupère,
Ou si pour égarer ses disciples il erre
Et tourne, retourne en rond sur des sentiers brumeux,
Certes, je le fuirai… Mais s’il me paraît sage,
Si la bonté paraît sur son calme visage,
Si la haine est un mot absent de son discours,
S’il est toujours serein et jamais ne s’irrite,
S’il sait bien enseigner le « Comment l’on médite »,
Alors, que je le suive ! Et j’y vole, et j’y cours !
Hare Krishna hare hare hare Krishna...
Je répète ces mots, n’y trouve que du vide !
Quand, je suis arrivé, dieux, que j’étais candide,
Que tout me semblait beau, j’étais au Nirvana,
Et pour un peu, j’aurais crié mon Hosanna !
Vénérant le gourou, je me disais « Quel guide ! »
Mais ce n’est qu’un humain, et ma face est livide
À force de douter... Son aura, son mana
Qui m’avaient ébloui quand j’étais un novice,
N’étaient qu’une façade, et par-dessous, du vice,
Comme tout un chacun, certe il n’en manque pas !
Oui, même le plus saint, pour peu qu’on le regarde
De près, un jour ou l’autre aura baissé sa garde ;
C’est un roi nu ! Le suivre ? Aller droit au trépas !
Néant, que je te hais, qui t’infiltres partout !
Pour qui veut t’échapper, où sont donc les abris ?
Nous sommes devant toi pareils à des souris
Tentant de se sauver, mais qui n’ont nul atout
Pour ne finir bientôt sous la dent du matou
Qui raille leurs espoirs ! Que cruels sont tes ris
Miaulés, surpassant de loin nos pauvres cris !
Oh oui, pour t’éviter, je fuirai n’importe où ;
Je t’y retrouverai, me devançant encore !
Mais, comme un souvenir que l’on se remémore
Avec difficulté, j’entrevois un chemin
Qui me semble plus sûr... Dieu, que je ne m’égare !
Est-ce au loin ? Est-ce en moi que je vois comme un phare
Qui luit ? Je l’atteins presque en étendant la main !
Quelle est cette lueur ? Serait-ce la Raison ?
Elle sait refréner ce fol enthousiasme
Par lequel je m’égare, attirant ton sarcasme,
Quand je fonce sans plus réfléchir qu’un oison
Vers tel but illusoire – Il en est à foison –
Qui devient ma lubie et mon ardent fantasme,
M’intoxiquant, à chaque fois, de son miasme
Fatal et virulent tout autant qu’un poison !
Qu’elle soit la Lumière illuminant ma route,
Que je suive sans crainte et sans l’ombre d’un doute,
Je lui remets ma vie, et mon cœur, et ma foi !
C’est Elle que je prends, ce jour, comme Déesse ;
Je suis son serviteur, son prêtre, je professe
Que je suivrai, dès lors, ses règles et sa Loi !
Le Néant
Ah, l’Inquisition... Souvenir merveilleux !
Des bûchers d’innocents à pleine charretée...
Et la culture aussi fut jugée infectée :
« Elle pourrait aux pauvres gens ouvrir les yeux ;
Les extirper de leur néant, c’est odieux,
Ne le comprenez-vous ? Si cette foi butée
Où nous les maintenons ne tient, l’âme gâtée
Rejettera l’oppression avec ses dieux ! »
Ainsi parlaient les Grands, bénissant ce carnage ;
Ah, comme ils me servaient, tout au long de cet âge !
Je jubilais, je grandissais, j’étais puissant !
Mais le jihad, en notre temps, c’est encor mieux !
Se transformer en bombe en n’importe quels lieux...
« Tuer ne suffit pas ; mourons aussi, bon sang ! »
N’est-ce d’ailleurs ce qu’énonça ta propre bouche ?
« Je n’ai peur de la mort, le Paradis m’attend ;
Mais ces vils mécréants, j’en massacrerai tant ! »
Des fous pareils, j’en rêverais dessus ma couche
Si je pouvais dormir ! Même une simple mouche
A plus d’intelligence – et combien ! – C’est patent,
Que vous tous, fous de Dieu ; que vous tous qui, pourtant,
Vous targuez de sagesse ! Ah, vraiment, je m’en mouche
De rire, c’est tordant ! Que l’homme est merveilleux,
Qui, descendu de l’ange, est pourtant oublieux
De ce qui fait le ciel – L’amour et la bonté –
Et, croyant le louer, se fait mon serviteur
En répandant partout un règne de terreur...
Homme, c’est donc par toi que je suis exalté !
Le jeune homme
Hélas, trois fois hélas ! Devant toi tout s’écroule,
Et même le sacré ? Ne reste-t-il donc rien
Qui de toi ne s’entache ? Au cœur même du bien,
Tu projettes ton ombre, et comme elle s’y coule,
Il en est perverti ? C’est à perdre la boule !
Et celui qui se voulait saint finit vaurien,
Criminel, assassin ; il a rompu le lien
Avec l’humanité ; s’extirpant de la foule
Dans son désir d’être ange, il devient un démon…
Mon Dieu, mon Dieu, mon Dieu, est-ce vraiment là mon
Destin ? Je m’y refuse ! Alors, je cherche un maître
Pour débusquer, trouver une solution !
J’engagerai sans frein toute ma passion,
Je ne renoncerai, même au prix de mon être !
Mais où pourrai-je enfin trouver ce que je veux ?
Vraiment, pour m’extirper de cette peine amère,
J’irai sans hésiter jusqu’au bout de la Terre !
En Inde, l’on m’a dit, vit tel gourou fameux…
Oui, j’irai l’écouter ! S’il devient écumeux
Tandis qu’au long des jours, des nuits, il vitupère,
Ou si pour égarer ses disciples il erre
Et tourne, retourne en rond sur des sentiers brumeux,
Certes, je le fuirai… Mais s’il me paraît sage,
Si la bonté paraît sur son calme visage,
Si la haine est un mot absent de son discours,
S’il est toujours serein et jamais ne s’irrite,
S’il sait bien enseigner le « Comment l’on médite »,
Alors, que je le suive ! Et j’y vole, et j’y cours !
―― Rideau ――
Troisième époque
L’Être, le Néant
Cinq ans plus tard
Dans un ashram ; le jeune homme, amaigri, en robe safran, est en méditation devant un nuage d’encens ; peu à peu celui-ci se dissipe pour laisser apparaître le Néant
Le jeune homme
(pour lui-même)
Hare Krishna hare hare hare Krishna...
Je répète ces mots, n’y trouve que du vide !
Quand, je suis arrivé, dieux, que j’étais candide,
Que tout me semblait beau, j’étais au Nirvana,
Et pour un peu, j’aurais crié mon Hosanna !
Vénérant le gourou, je me disais « Quel guide ! »
Mais ce n’est qu’un humain, et ma face est livide
À force de douter... Son aura, son mana
Qui m’avaient ébloui quand j’étais un novice,
N’étaient qu’une façade, et par-dessous, du vice,
Comme tout un chacun, certe il n’en manque pas !
Oui, même le plus saint, pour peu qu’on le regarde
De près, un jour ou l’autre aura baissé sa garde ;
C’est un roi nu ! Le suivre ? Aller droit au trépas !
Néant, que je te hais, qui t’infiltres partout !
Pour qui veut t’échapper, où sont donc les abris ?
Nous sommes devant toi pareils à des souris
Tentant de se sauver, mais qui n’ont nul atout
Pour ne finir bientôt sous la dent du matou
Qui raille leurs espoirs ! Que cruels sont tes ris
Miaulés, surpassant de loin nos pauvres cris !
Oh oui, pour t’éviter, je fuirai n’importe où ;
Je t’y retrouverai, me devançant encore !
Mais, comme un souvenir que l’on se remémore
Avec difficulté, j’entrevois un chemin
Qui me semble plus sûr... Dieu, que je ne m’égare !
Est-ce au loin ? Est-ce en moi que je vois comme un phare
Qui luit ? Je l’atteins presque en étendant la main !
Quelle est cette lueur ? Serait-ce la Raison ?
Elle sait refréner ce fol enthousiasme
Par lequel je m’égare, attirant ton sarcasme,
Quand je fonce sans plus réfléchir qu’un oison
Vers tel but illusoire – Il en est à foison –
Qui devient ma lubie et mon ardent fantasme,
M’intoxiquant, à chaque fois, de son miasme
Fatal et virulent tout autant qu’un poison !
Qu’elle soit la Lumière illuminant ma route,
Que je suive sans crainte et sans l’ombre d’un doute,
Je lui remets ma vie, et mon cœur, et ma foi !
C’est Elle que je prends, ce jour, comme Déesse ;
Je suis son serviteur, son prêtre, je professe
Que je suivrai, dès lors, ses règles et sa Loi !
(Il se débarrasse théâtralement de sa robe safran)
Le Néant
La raison ? Je rigole ! En son nom, tant de crimes
Ont été perpétrés, sans l’ombre d’un remords !
Depuis Machiavel, l’on put voir tant de morts
Sans oraison, sacrifiés, pauvres victimes,
Sur ses autels... « Boutons ces obstacles infimes
Hors de notre chemin, sauvegarder le corps
De la nation vaut plus que ces quelques torts
Que nous devons causer ! »
Le jeune homme
..............................................Oui, c’est ce que nous fîmes...
Le Néant
Elle est aveugle et sourde et ne sait que compter,
Mais ne connaît les fins, peut vous orienter
Vers moi, sans sourciller, si tu ne tiens ses rênes !
Je ne suis à ses yeux qu’une solution
Parmi d’autres, et tant ! Une simple option !
Le jeune homme
Ah, comment échapper à tes ignobles chaînes ?
Le jeune homme
(Tournant le dos au Néant)
Mais est-ce le bon sens, de discourir ainsi
Et lutter contre toi ? Ta soif inassouvie
S’en est nourrie à mes dépens, et ton envie
Aurait pu m’achever aussi bien que ceux-ci
Qui se sont épuisés à lutter sans merci,
Leur âme se sentant, sans répit, poursuivie
Par tes traits triomphants, par ta haine suivie !
Je ne veux m’encombrer à devenir ranci !
Je veux vivre ma vie insouciant, mon âme
Ouverte pour cueillir, quand elle naît, la flamme,
Ardente du bonheur ! En serai-je embrasé ?
Notre discussion m’a montré plus d’un piège ;
Mais le pire de tous, c’est de se dire « Où vais-je »
Et de ne plus bouger, ainsi paralysé !
―― Rideau ――
Magnifique! Merci Michel!
RépondreSupprimerMerci de tout coeur, Amalia, bises !
RépondreSupprimerIl y a quelque chose d'infiniment réjouissant dans cette gageure théâtrale et poétique. On attend la suite!
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