Ionuţ Caragea nous présente une critique littéraire de son dernier ouvrage, Aphorismes jaillis de l'écume des flots, par Jean-Paul Gavard-Perret, parue sur le site Le littéraire.
La résurrection des Lazare
Ionut Caragea, Aphorismes jaillis de l’écume des flots
La résurrection des Lazare
Nul ne s’étonnera de retrouver en un compatriote de Cioran un maître de l’aphorisme. Ce genre est des plus nobles mais des plus dangereux. C’est un peu le haïku du monde occidental. Beaucoup s’y essaient et s’y cassent les dents — parfois sans même s’en rendre compte. Pour pratiquer un tel genre, il faut de la bouteille et du recul plus qu’une simple faconde : le risque est de réduire la pensée au mot d’esprit et de tomber à côté de la plaque.
Ionut Caragea a donc maturé cette forme au fil des ans et de ses autres écrits. Dès lors, ce qui “jaillit de l’écume des flots” échappe aux idées mères comme au re-pères afin de permettre à l’aphorisme non de faire du surplace dans un esprit post-cioran mais de suivre un cours. Caragea ne s’y prétend pas un des Jupiter littérateurs qui toisent le monde de leur hauteur. Il ne cherche pas à épater de formules facilement torchées. La traduction de Constantin Frosin — et ses choix — le prouvent.
L’auteur préfère la vérité à la pose. Et au besoin ouvre l’aphorisme — comme Cioran d’ailleurs sut le faire — à autre chose qu’un exercice de briéveté à tout crin. Il est des vérités qui ne se laissent pas saisir uniquement en quelques mots. Et si ce qui se conçoit bien s’énonce clairement, il convient néanmoins de trouver l’espace nécessaire à la précision de la pensée.
Nourri par les voyages, les lectures, la porosité à l’autre et le goût des mots Ionut Caragea ne lâche rien et donne à chaque aphorisme les contours nécessaires afin que l’ellipse évite les contournements comme les à-peu-près. Existe donc dans ce livre l’envol nécessaire à la pensée prête à jeter l’ancre pour ne pas oublier la réalité et les affres — mais aussi les douceurs — de l’existence.
Se méfiant des gogos qui se prennent pour des maîtres et qui “chérissent tellement leurs propres vérités, autant que des vêtements d’un prix fou”, l’auteur, dans un genre où cela peut paraître un paradoxe, pratique un exercice d’humilité. Il sait que dire n’est pas simple à qui veut toucher le vrai. Il faut parfois renoncer au brillant et revenir à des chemins perdus, oubliés, laissés à l’abandon.
L’éternité d’un style passe sous ses fourches caudines de la précision pour repenser le monde en osant au besoin “la gaucherie du cœur et la dextérité de la croix” pour s’en déclouer. L’œuvre reste pour l’auteur la clé pour sortir des doxas de l’école socialiste de son enfance roumaine où les dieux du grand soir servaient d’images saintes.
Afin que la pensée soit à la fois squelette et chair et pour que l’aphorisme ne soit plus un retable en l’honneur des chiens de guerre, Caragea ramène en conséquence aux bras de la femme. Leur croix n’est pas rigide et christique : elle se referme en nid d’amour. Elle donne à l’homme la raison de son combat pour l’existence.
C’est par elle que tout commence. L’auteur le rappelle à bon escient sans pour autant tomber dans les modes du temps. Ici commence la résurrection des Lazare.
jean-paul gavard-perret
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