JAMMES, auteur de Ada, nous offre une extraordinaire critique littéraire des Eaux mortes, de Sirine Ahardane.
Introduction :
Sirine Bahardane et Turi Avola:
Titre volontairement mystérieux pour ceux qui ne connaissent pas l’oeuvre photographique de Turi Avola.
J’ai recensé les évocations des couleurs et des noirs et blancs dans l’oeuvre, en reproduisant les citations avec les objets décrits. Il est aisé de constater que les pinceaux des noirs, des gris, des blancs, des couleurs ternies recouvrent les objets, les ambiances, les sentiments:
“le feu blanc de nos caresses (le feu et le bois)
derrière les miroirs sans tain
pupilles d’un noir de liège
es secrètes qui obscurcissent mon coeur gris-blanc
aux fleurs noires
médusées
brun bleuté et brumeux
une grisaille charmante
une encre lourde et bleue en poudre de nuit
ombrée d’angoisses dissonantes
coeur d’acier
un vieux temps où lumière tu fis
lueurs grises
un soleil las et moribond
sombres frimas vagabonds
mais la terre a perdu ses nuances
mon âme ce fanion blanc
haillon de suie ”
On note une seule touche de couleur : “ amour cruauté de velours ”
Une ambiance au service du discours :
L’intérêt de la poésie est de fixer dans chaque mot un peu de la substance de notre propos. Pour revenir à mon introduction, cet intérêt peut vite devenir source d’emphase inutile. C’est sans crainte que je peux évoquer ici ce travers.
En effet, Sirine Ahardane utilise les teintes pour parler du passage de la vie à la mort. J’avoue m’être régalé de cette puissance.
Épuisent le délai fugace de leur vie :
“ l’ennui blême
les coeurs palissent d’humides frissons
y voit son terme et sa couleur aveulie
larve boiteuse de cendres blanchies
ce temple de la mort, austère et noir
le sang grelottant n’a point jailli ”
(aucun espoir de couleur)
La perte de l’autonomie, sans métaphores :
Le passage à la mort, thématique filée de la mort et de son environnement, est traité sans métaphores, traité sur le mode de la voix et du regard et du goût et l’ouïe, des eaux immobiles :
“ le sang des non-dits coagule ” (Je Tais) > “Ce sang grelottant n’a point jailli ” (Ce corps qui fut mien)
“ sceller ce qui doit être tu
...
corrompent le goût des fantaisies versatiles
...
auxquelles ma langue taciturne se refuse ” (Je Tais)
La mécanique de la mort :
“ C’est ton destin mécanique ” (L’Encre Lourde)
L’environnement médical:
Les eaux mortes, de Sirine Ahardane
Ma lecture des Eaux Mortes, poèmes de Sirine Ahardane
J’ai découvert ce week-end le recueil de Sirine Ahardane, Les Eaux Mortes, poèmes aux éditions Stellamaris. Le Blog des éditions Stellamaris le permettant, je me suis pris au jeu du compte-rendu de lecture. J’ai lu et relu les Eaux Mortes depuis ce samedi, car j’ai adoré cette oeuvre. Aussi je me permettrai les emphases qui vont suivre.
Régulièrement depuis mon adolescence, je fais une visite à Charles au cimetière du Montparnasse. Je ne lis plus les Fleurs à vrai dire, mais j’y vais pour rendre hommage au précurseur. Il y eut beaucoup de souffrances et de frustrations dans sa vie. L’une de ces frustrations était de ne faire de ses Fleurs qu’une “plaquette” (c’était son terme, mais aussi le terme courant et positif à son époque pour décrire un ouvrage court) quand son idole farcissait des tomes entiers (que ne lis jamais d’ailleurs).
Bref, Charles, c’est le défricheur moderne du thème du passage vers la mort. Mais son angoisse de la plaquette a induit en erreur cette icône. N’ayons pas peur des mots: un bon gros tiers des Fleurs est inutile. Pire, ce gonflement littéraire a poussé Charles a multiplier les métaphores.**
C’est ici la fin de mon introduction: je place les Eaux Mortes au-dessus de ce débat, car les Eaux Mortes ont eu la puissance créatrice de maudire la métaphore. J’ai cherché ce faux-ami du Poète partout dans cette oeuvre mais ne l’ai pas trouvé. Que celui qui le trouve me le dise. Il y a des images dans les Eaux Mortes, puissantes, mais qui sont intimes à l’auteur, liées à lui, dont elles sont l’émanation. C’est pour moi le secret de sa beauté, en plus de sa forme condensée.
Voici une introduction qui a le mérite de laisser la forme condensée à l’oeuvre qu’elle introduit…Poursuivons de façon plus elliptique : j’ai tranché dans mes notes de lectures, pour ne garder que quelques aspects, que voici :
Le ton général des Eaux Mortes m’a énormément touché. Je suis très sensible aux oeuvres photographiques qui traitent des contrastes entre noir et blanc.
Les travaux de Turi Avola, ainsi que ceux d’Angelina Nové puisent dans l’absurde, dans l’évanescence, dans la profondeur ou la transparence des noirs. Tout comme le fait Benjamin Carbonne en peinture d’ailleurs.
C’est donc mon univers pictural qui s’est trouvé conforté dans les Eaux Mortes, qui pour moi est une oeuvre “ en noir et blanc ”.
Évoquer les “ miroirs sans tain ” dans le monde violent et tranché des Eaux Mortes, c’est pour moi le signe que l’auteur perçoit des reflets, des aspérités, des flous dans son décor poétique.
derrière les miroirs sans tain
pupilles d’un noir de liège
es secrètes qui obscurcissent mon coeur gris-blanc
aux fleurs noires
médusées
brun bleuté et brumeux
une grisaille charmante
une encre lourde et bleue en poudre de nuit
ombrée d’angoisses dissonantes
coeur d’acier
un vieux temps où lumière tu fis
lueurs grises
un soleil las et moribond
sombres frimas vagabonds
mais la terre a perdu ses nuances
mon âme ce fanion blanc
haillon de suie ”
“ l’ennui blême
les coeurs palissent d’humides frissons
y voit son terme et sa couleur aveulie
larve boiteuse de cendres blanchies
ce temple de la mort, austère et noir
le sang grelottant n’a point jailli ”
(aucun espoir de couleur)
“ le sang des non-dits coagule ” (Je Tais) > “Ce sang grelottant n’a point jailli ” (Ce corps qui fut mien)
“ sceller ce qui doit être tu
...
corrompent le goût des fantaisies versatiles
...
auxquelles ma langue taciturne se refuse ” (Je Tais)
Le silence s’installe très vite; monde immobile, oppressant (un silence éventre l’esprit perplexe) L’âme profuse se tait, et dans Leurs Yeux elle en vient à devoir se dissimuler (les yeux sont insistants, malsains, voraces) >
“ un long joug mélancolique
que tu ne puis entraver ” (L'Encre Lourde)
...
“ les sons osseux. ” (Entends-tu)
“ C’est ton destin mécanique ” (L’Encre Lourde)
Qui dit mécanique, dit corps, anatomie, fonctions.
J’éloignerai mon compte rendu de lecture de l’ambiance anatomique du recueil, dont le moment le plus explicite est l’oeuvre “ Ce corps qui fut mien ”. Ce n’est pas par manque d’intérêt, mais juste pour m’éviter la déformation professionnelle.
C’est la rancune de la séparation, le triste bilan des unions, ou finalement l’autre n’est qu’influence
“ Tu étendis ton pouvoir
En fis terre d’exutoire ”
L’acceptation suivra Dans Mélancolies hivernales : la joie est là, mais prise dans la cire ; le soleil est là, mais engourdi par les frimas
mon coeur est là mais a bu un flacon d’asthénie.
Mais finalement l’Hiver est-il bien responsable de cette glaciation ou le sommes-nous, nous-mêmes ? En somme il nous faut nous remettre en question ; ce verbe “ pâmons ” ne renvoie-t-il pas au champ lexical du reproche religieux?
La question centrale est là selon moi : la mort est-elle violente, ou s’est-on laissé duper par de fausses consolations qui ne nous ont pas préparés à la solitude “ mortelle ” de cet état de mort ?
Cet ami masculin m’a d’abord étonné. Il est salvateur au contraire des métaphores habituelles, où nous sommes tous censés dialoguer avec notre âme.
S’ensuivent quatre poèmes magnifiques sur le destin de la “ carcasse morcelée ”. C’est dans ces vers que l’on ressent la métaphore filée de la dissection anatomique. Mais ces emprunts sont toujours au service du discours:
“ Ils ont ouvert mes carotides ” : la dissection nous permet de voir le vide existentiel des artères et non la paroi interne de ces artères.
C’est, pour finir, le constat de la défaite, dans les quatre derniers vers sublimes : “ mon âme abdique ”.
La création des Eaux Mortes est pour moi un des travaux les plus aboutis et intéressants sur ce sujet. Avec ce supplément d’âme, non pas médical mais photographique.
Le passage vers la mort est un thème sur lequel je n’écris plus depuis longtemps. Bien m’en a pris. Car coincé dans cette galerie poétique, je me serai retrouvé suivi par une lampe torche bien plus puissante que la mienne, dont vous comprendrez le nom.
** : on pourra aisément se passer de commentaires sur ce regard personnel sur Baudelaire. On souffre déjà tellement de réactions, like et autres dénonciations d’avis sur les réseaux sociaux, pour ne pas confondre lecture et approbation. Nous lirons certainement d’autres avis nourris sur Baudelaire d’autres fois, pour ne pas faire de ces présents propos des lignes urticariantes.
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