dimanche 21 avril 2013

La révélation par l'écriture - Article sur le dernier café-paroles de Florence Houssais

Jean Lavoué est écrivain. (Vous trouverez ici une page Wikipédia qui présente l'intégralité de son oeuvre, et ici un blog qui présente plus en détail (colonne de droite) certains de ses ouvrages). Ayant participé au récent café-paroles sur l'oeuvre de Florence Houssais (L'âme soeur, Un an sans Élie et Je suis toujours une petite soeur il en rend compte dans le texte ci-dessous.



La révélation par l'écriture


L’écriture comme chemin de révélation. C’est cela qu’est venue nous partager hier soir Florence Houssais. Elle ouvre notre premier café-parole. Nous sommes une vingtaine venus pour l’écouter, partager avec elle.

Un peu plus de trois mois après le décès de sa sœur aînée, son unique, accompagnée de longues années dans la maladie, Florence fait soudain, de nuit, une rencontre bouleversante : Cette présence en soi, pleine de justesse, de sensibilité, de rythme, de musicalité, d’un centre créateur, poétique que l’écriture révèle. Cette nuit-là elle se lève pour venir calmer de ses angoisses sa fille Camille qui ne parvient pas à s’endormir. Elle s’allonge auprès d’elle comme on le ferait sur le divan d’un analyste auquel on s’apprêterait à confier les plus silencieux de ses rêves. Sa fille s’apaise et s’endort peu à peu. Florence se lève alors, gagnée soudain par le besoin d’écrire, de coucher là sur le papier, à l’instant même, les poèmes qui se sont mis à pousser dans sa tête. Comme s’il lui avait fallu ce moment de lâcher prise nocturne, aux côtés de sa fille, ce moment où elle s’unifie elle-même dans son rôle de mère, de thérapeute, de gardienne de la souffrance et de l’angoisse d’autrui, pour s’ouvrir pour de bon à cette vocation qu’elle portait en elle sans le savoir ; si proche pourtant de ce métier d’enseignante qu’elle sait avoir reçu depuis longtemps déjà comme un don : Dans ce qui la travaille au plus intime, trouver les passerelles, les symboles qui donneront à d’autres la joie d’ouvrir à leur tour les murs les empêchant de regarder au fond d’eux-mêmes et autour d’eux. Désobstruer le puits de l’intériorité, voilà ce à quoi va s’employer désormais la vie de Florence. D’abord pour elle-même et bientôt pour beaucoup d’autres.

Elle recueille alors un à un les poèmes qui se donnent à elle comme s’ils attendaient depuis longtemps ce moment de la plus grande disponibilité pour se livrer enfin, fruits d’un amour qui tardait tant à s’accomplir. Florence passera le reste de la nuit à saisir leur souffle fragile. Quelques semaines plus tard son premier recueil de poésie, « L’âme-sœur », dédié à sa sœur Elisabeth, Elie en poésie, est prêt : Elle qui n’avait jamais lu un recueil entier de poésie, nous confie-t-elle, n’avait jamais davantage songé à écrire de poèmes, même si le désir d’écrire avait pu la titiller quelquefois mais sans jamais trop le prendre au sérieux, la voici gagnée par un flux de mots que rien ne semble devoir endiguer : Le Poème lui ne l’avait pas quittée !

Très vite la rencontre d’un éditeur dont le nom de la maison d’édition tout de suite lui parle, résonne comme le signe d’un présage heureux, « Stellamaris », va la mettre sur le chemin du partage de cette écriture. « L’Etoile de la mer », n’est-ce pas toute la grâce qui lui était venue cette nuit là tandis que, mère, elle consolait sa fille de ses angoisses, ne parvenant pas cependant à calmer celles de sa propre mère atteinte par le chagrin de la perte d’Elisabeth. C’est son nom quelle va graver à toutes les pages de son livre comme un signe, un ancrage, un « tatouage » sur sa peau ira-t-elle jusqu’à écrire, un tournesol ou un étoile autour desquels sa vie ira désormais gravitant. Un testament autant qu’un sacrement ! Elle a trouvé son axe, sa densité, sa vie au plus vif de la douleur transmuée en joie.

Le premier poème qu’elle écrit cette nuit-là n’est pas sans évoquer ce goût irrépressible qui viendra à Etty, la jeune juive brûlée dans la tourmente de l’holocauste, de devenir elle-même « un baume versé sur tant de plaies ». « Cueillir des fleurs pour panser les blessures » écrit de son côté Florence. Ce sont les tous premiers mots de lumière jaillis de la nuit. Son écriture, Etty Hillesum la voit elle-même comme cette consolation qu’elle veut poser de la main même de Dieu sur tant de chair anéantie : Elle qui cherche de toutes ses forces à préserver en elle la petite flamme de Dieu, sa vulnérabilité, sa tendresse. C’est aussi par la grâce de l’écriture qu’elle en aura le mieux éprouvé la présence ! « Ne pourrait-on pas apprendre aux gens, écrivait-elle dans son journal le 29 septembre 1942, qu’il est possible de « travailler » à sa vie intérieure, à la reconquête de la vie en soi. De continuer à avoir une vie intérieure productive et confiante, par-dessus la tête – si j’ose dire – des angoisses et des rumeurs qui vous assaillent. Ne pourrait-on leur apprendre que l’on peut se contraindre à s’agenouiller dans le coin leplus reculé et le plus paisible de leur moi profond et persister jusqu’à sentir au-dessus de soi le ciel s’éclaircir ? » (Etty Hillesum, Une vie bouleversée) N’est-ce pas ce chemin qu’avait emprunté, dans la grâce de la nuit d’Elie, Florence jusqu’à voir se lever au-dessus d’elle l’étoile de la mer ?

Accueillie par la chaleur, la confiance et la générosité de cet éditeur, un homme qui vibre tout de suite à son témoignage, la poésie de Florence, empreinte d’un brûlant hommage à sa sœur Elie, va ainsi pouvoir faire son chemin : De recueil en recueil, de rencontres en rencontres ; irriguer autrement son métier de professeur de français ; la conduire à vivre ainsi des expériences inédites avec ses élèves, à partager avec eux le goût, par exemple, de la création de haikus édités en un recueil original de tendresse et de douleur mêlée : L’une de leurs amies de classe, Emma, est décédée et c’est à sa mémoire que chacun compose sans doute là le premier poème de sa vie. C’est justement aujourd’hui la Sainte Emma, nous dit simplement Florence, au cours du repas qui précède ce premier café-parole. Clin d’œil du poème, où chacun, s’il entend, peut se trouver tout à coup projeté dans l’éclat de la présence : Sur fond de cette absence incroyablement douce qui n’en finit pas de nous adresser des signaux lumineux dans la nuit.

Longtemps Florence aura dû porter seule le fardeau de la douleur d’Elie. Le secret de son agonie. Ni ses parents, ni cette dernière, ne veulent, en effet, croire à l’imminence de la mort. C’est à Florence que les médecins confient la cruelle vérité. Elle devra y faire face avec son seul courage, sans vouloir brutaliser le déni de ses proches, sans vouloir forcer les protections qui les tiennent. Sans manquer de leur adresser sans doute, de temps à autres, quelques signaux faibles, inconscients, dans la nuit de leur douleur mais qui ne parviendront pas cependant à percer les parois de leurs souffrances et de leurs peurs. Jusqu’au jour… C’est maintenant. C’est aussi pour eux qu’elle écrit. Et pour Elie !

Est-ce la raison pour laquelle, très peu de temps après la mort d’Elie, au matin du 1er janvier 2012, Florence demande l’appui d’une thérapeute ? C’est elle qui la guidera sur le chemin de son unification intérieure, par-delà la douleur et le drame, où la libération de la parole et de l’écriture jouera un rôle si déterminant. Sur ce terreau de confiance et d’accueil, Florence a pris voix ! Ce que ses proches ne pouvaient entendre, l’oreille bienveillante d’un tiers lui donnera la force de le révéler au grand jour. C’est pourquoi la révélation dont elle parle en cette nuit d’avril 2012, c’est d’abord la sienne : Celle d’une parole longtemps contenue, longtemps retenue, et qui se met tout à coup à jaillir tel un geyser ! Une poussée d’amour, une force printanière adressée à Elisabeth, sa sœur aimée, ses parents, ses proches, un alléluia jailli de sa nuit et qui reflue sur elle en milliers de pétales de rose, de bourgeons triomphants. C’est ainsi que s’ouvre le chemin de Florence en écriture. Elle ira de confiances en rencontres, guérie de la douleur qui la guettait, toujours tapie, en contact désormais avec sa sensibilité la plus vive. Capable de s’écouter autrement qu’elle ne l’avait jamais fait auparavant.

Dans cette confiance profonde, dans cette joie intérieure qui a jailli d’elle, Florence croit reconnaître le signe irrécusable de la présence d’Elie qui ne l’a pas quittée. Elle la retrouve au contraire d’une présence libérée de toutes peurs. Ce qu’elles n’ont pu se dire tandis qu’Elisabeth se trouvait sur le lit des douleurs, clouée près de dix ans durant par la maladie orpheline qui devait l’emporter, voilà que cela coule de source désormais et que rien ne semble devoir endiguer le flux.

« « Elie », c’est curieux, dit Florence, je ne l’ai jamais appelée ainsi de son vivant ma sœur Elisabeth ! C’est le nom qui m’est venue, en poésie ». Miracle de l’écriture qui ouvre d’emblée la force symbolique et qui donnera à entendre ce que l’auteur lui-même parfois ne saisit pas à la première écoute. Mais il lui faut faire confiance. Avancer de nuit. Et trouver plus loin d’autres oreilles qui continueront à le révéler à lui-même. Comment ne pas entendre là, du plus profond de notre tradition juive et chrétienne, monter les mots de l’inspiration du plus grand des prophètes, auquel les amis de Jésus le compareront, emporté sur un chariot de feu. Le maître de tant de contemplatifs ayant appris à écouter la présence de Dieu dans les silences du cœur : Car il ne se tient pas dans le vacarme de le tempête et de l’ouragan mais dans le souffle d’un silence ténu… Elie se voila la face, et se tint silencieux à l’entrée de la grotte, car il sut qu’il se tenait en présence de Dieu.

J’ai été très touché que la première proposition de ce café-parole à la préparation duquel j’avais été associé ait été d’accueillir Florence et son témoignage poétique nous donnant à vivre par-delà la douleur de sa perte la présence d’Elisabeth. Il se trouve que je suis moi-même venu à l’écriture à partir d’une telle absence. Et que ma sœur se prénommait, elle aussi, Elisabeth. La photo qui illustre le second recueil de poésie de Florence est celle des brise-lames de la plage du Sillon à St-Malo : Ces chênes têtus plantés dans la mer ! J’aurais presque eu envie d’écrire des « brise-larmes » ! C’est à St-Malo que ma sœur Elisabeth est morte voilà 40 ans, aux portes de la ville, dans l’ambulance qui l’emportait après ce terrible accident auquel son fiancé, Jacques, avait survécu. Il ne me fallut pas quelques mois, comme Florence, mais 23 ans pour que paraisse en 1996 mon premier livre, un recueil de poésie, « Soleil des grèves », dédié tout comme les trois premiers livres de Florence, à ma sœur aimée : « À Elisabeth qui ne me lira pas, avais-je écrit, en exergue du recueil, passante à jamais dans la lumière du poème ». Combien de fois n’avais-je pas éprouvé depuis la justesse de ces mots silencieux nés de la nuit. Ils étaient eux aussi le fruit de longues années d’écoute, d’attente, de confiance, jusqu’au surgissement de cette lumière irrécusable dans l’éclat du matin.

C’est cette lumière qui me fait écrire, rencontrer des frères, des sœurs, heureux au cours de cette soirée d’avoir entendu, une fois encore, plus forte que toutes les obscurités le crépitement de ce feu dans la nuit « qui ne s’éteint jamais », ainsi qu’on le chante à Taizé !

Jean Lavoué

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