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lundi 10 octobre 2022

Critique littéraire de Larmes de verre

C'est une joie pour moi de vous présenter cette critique littéraire de Larmes de verre, de Doina Guriță... Merci Erick Gauthier, et félicitations à l'autrice et à la traductrice pour l'avoir méritée !


Larmes de verre

Larmes de verre, Lacrima de sticlă pour reprendre le titre premier avant traduction, est le troisième recueil poétique de Doina Gurițā. Traduit en français pour le plus grand plaisir des lecteurs par Amalia Achard, ce livre s’inscrit dans la digne lignée du grand poète romantique roumain Mihai Eminescu et poursuit une tradition d’écriture lyrique intense.

Ecrit et pensé dans la « langue d’Eminescu », ce recueil se donne à aimer. A écouter. Il faut le réfléchir. Il s’offre au lecteur par un remarquable premier poème évanescent en forme de haïkus où déambulent des étoiles sous un regard apaisé et complice. La mort, l’absence, le départ, l’amour, le souvenir sont autant de thèmes évoqués en ces premiers vers. Ce poème liminaire annonce par son implicite le dessein du recueil. Et il faut le lire, ce premier poème, Au semeur d’étoiles, et surtout le relire, doucement mais à haute voix pour en ressentir toute sa force, son pouvoir et sa profondeur. Les astres omniprésents dans le recueil (et est-ce, là encore, un clin d’œil à M. Eminescu dont un astéroïde porte le nom entre les orbites de Mars et Jupiter ?) invitent au voyage et au souvenir. A l’amour surtout. Et à la poétesse de l’écrire : “Je veux que tu voles avec moi vers l’abîme d’azur” (vers 11, page 8). Qui refuserait cette fuite avec celle à qui “reste dans la poitrine une fleur et une perle de désir/dans mes pensées, un grain de sang non encore embrassé” (vers 9-10, p. 8) pour s’élever vers des “champs du Paradis vert” (v. 12). Et la douleur revient comme un leitmotiv. Le poème Nuit d’hiver se dépose sur le lecteur comme la larme perle et sombre vers l’infini et la profondeur lourde d’une prière. “Des perles d’eau [...] se posent sur des désirs silencieux” où “les neiges bercent de leurs bras les orages”. La prière est devenue hurlement et la croix de silence est faite. A chaque lecteur de vivre ce poème, selon ses sensibilités, mais que d’émotions !

La poétesse envoûte par sa “réserve de temps pour pouvoir aimer” (vers 1-2, p. 17), elle qui
“regarde la lumière des yeux/à travers l’ombre de la vallée de ses [mes] cils” (vers 1-2, p. 18), qui “entend les neiges chantant la solitude d’un jeu de chagrin” (vers 12, p. 18) ou qui aimerait “mettre des étoiles dans ses [mes] mains” et être dorlotée d’un baiser (vers 1 et vers 5, p. 30) et qui encore “te caresse de la soie de la lune” (vers 9, p. 37). Et la poésie poursuit son chemin sur un parfum nostalgique, à la figure tutélaire de la mère de revenir au poème Le souvenir de toi pour dans Abandon, “exiler le [mon] silence” (vers 1, p. 61) vers l’espoir, le “charme de la vie : l’Amour” (vers 10-11, p. 64).

La poésie de Doina Gurițā se drape d’une tonalité élégiaque qui parcourt ses vers oxymoriques de tristesse d’espoir et “Les matins s’écoulent sur ses [mes] épaules/jusqu’aux talons/et se transforment en larmes” (vers 1-3, p. 38) et où l’écriture cessera car se pressent une rencontre prochaine (vers 18-20, p. 37). Le poème La Roumanie centenaire, poème éminescien par excellence, réunit à lui seul tous les thèmes chers à l’autrice : la mort et la vie, la souffrance et les larmes, les astres, l’être aimé et l’amour, la religiosité et l’espoir. Il est la synthèse parfaite de tous les poèmes de Doina Gurițā.

Ce livre est un hymne à l’amour des siens. Un espoir, une ode au souvenir ! Les poèmes de
Doina Gurițā résonnent en une longue plainte lancinante. Ne faut-il pas d’ailleurs repérer ici encore une analogie entre le prénom de la poétesse et la mélopée lyrique et solennelle roumaine qu’est la doïna ? Larmes de verre constitue un recueil poétique d’une sensibilité émouvante et rare qui s’éloigne des textes habituellement lus et qui porte le lecteur vers des astres à la figure tutélaire maternelle où s’enlacent douleur et amour. Ces textes sont des gemmes, ils sont de véritables perles qu’une poétesse de grand talent nous livre à travers ses larmes.

Espérons que, dans un avenir proche, d’autres poèmes de Doina Gurițā puissent être donnés à lire au public francophone !

Erick Gauthier

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